Les pleurotes, c’est-à-dire les espèces du genre Pleurotus (du grec ancien pleurón «ailette, côté»), sont toutes attachées latéralement à leur substrat. Le pleurote jaune (Pleurotus citrinopileatus) est un décomposeur de bois mort de feuillus qui forme généralement de nombreuses fructifications en touffes. Les lamelles descendent largement sur le pied et présentent souvent des liaisons transversales remarquables (anastomoses) dans la zone du stipe.

Comme son nom l’indique, le chapeau velouté et sec à l’état jeune est de couleur jaune vif à brun doré (fig. 1), pouvant pâlir pour devenir beige ou presque blanc à maturité. Il atteint un diamètre de 2 à 6,5 cm et se creuse rapidement au centre en forme d’entonnoir avec un bord enroulé.

Le pied et les lamelles sont blancs. Le pied cylindrique est généralement recourbé vers le haut et s’attache au chapeau de manière légèrement excentrée. Il mesure environ 2 à 5 cm de long et jusqu’à 1 cm de large. La chair du chapeau est fine et apparaît jaunâtre au niveau de la cuticule, mais elle est blanche ailleurs et ne se décolore pas à la pression ou à l’incision. Son odeur est fruitée et son goût est doux.

Possibilités de confusion

Le pleurote jaune ressemble fortement à d’autres espèces de pleurotes dans sa forme, mais s’en distingue par sa coloration jaune très voyante. Le risque de confusion existe notamment pour les espèces suivantes :

  • pleurote en forme de nid (Phyllotopsis nidulans)
  • Gerronema strombodes
  • faux Clytocybe lumineux (Omphalotus illudens)
  • formes jaunâtres des armillaires (Armillaria sp.)
  • pleurote cornucopié (Pleurotus cornucopiae) 

Vous trouverez une description des caractéristiques distinctives dans la notice pour le praticien (PDF).

Aide à l'identification photographique (en anglais)

Écologie, biologie et reproduction

Comme d’autres espèces de pleurotes (Pleurotus sp.), P. citrinopileatus se nourrit de bois mort, dans lequel il produit une pourriture blanche. Il s’attaque aussi bien aux arbres morts qu’aux arbres encore vivants, mais blessés ou affaiblis.

Parmi ses plantes hôtes, on trouve les feuillus les plus divers. On l’a trouvé le plus souvent sur des ormes morts (Ulmus spp.), souvent aussi sur des chênes (Quercus spp.), des frênes (Fraxinus spp.), des charmes (Carpinus spp.) ou des hêtres (Fagus spp.), plus rarement sur des mûriers (Morus spp.), des saules (Salix spp.), des érables (Acer spp.), des aulnes (Alnus spp.) ou des arbres fruitiers à noyau (Prunus spp.).

Lors de la culture du champignon, il faut, dans des conditions optimales, 10 à 14 jours pour que le mycélium du champignon pénètre le substrat de sciure de bois, puis de trois à cinq jours pour que les ébauches des fructifications (les primordia) se forment, et encore de trois à cinq jours pour que les fructifications soient prêtes à être récoltées. De nombreux cultivateurs amateurs utilisent des kits de culture, pratiques et bien conçus, qui permettent de produire rapidement et facilement des champignons frais.

La formation de fructifications est plus efficace lorsque l’humidité relative est supérieure à 80 % et que les températures sont chaudes, entre 18 et 30 °C, mais elle n’est plus possible en dessous de 16–18 °C. Dans la nature, la préférence du champignon pour les températures chaudes se reflète également dans son apparition qui varie selon la saison et le climat.

Comme le champignon forme souvent un grand nombre de fructifications, il peut dégager une grande quantité de spores qui sont disséminées par le vent. En Asie orientale, les spores sont également disséminées par le longicorne Callipogon relictus, dont les larves se nourrissent de bois en décomposition et peut-être aussi du champignon lui-même. En Amérique, la propagation du champignon par un coléoptère n’a pas encore été prouvée.

Distribution et histoire de la propagation

Le champignon est probablement originaire de l’est de la Russie, du Japon (fig. 2) et de la Chine. En Chine et dans d’autres pays asiatiques il est apprécié comme champignon de culture, car il peut être cultivé rapidement et à peu de frais. Il y est utilisé aussi bien à des fins culinaires et médicinales en raison de ses nombreux composants bénéfiques pour la santé. Le champignon y est aussi régulièrement trouvé dans la nature, notamment en Inde et en Corée du Sud; toutefois, aucun comportement envahissant de l’espèce n’a été signalé en Asie jusqu’à présent.

La cultivation du pleurote jaune a commencé dans les années 1980 en Chine et n’a cessé d’augmenter dans le monde entier.

Au tournant du millénaire il a commencé à être fréquemment cultivé aux États-Unis. En 2010, il a été photographié pour la première fois en pleine nature dans l’Iowa. Dans les années qui ont suivi, il s’est répandu de plus en plus dans les forêts d’Amérique du Nord. En février 2024, il avait été observé dans 29 États américains. Depuis 2018 au plus tard, il est également présent de l’autre côté de la frontière, dans la province canadienne de l’Ontario. Au début de sa propagation en Amérique, des kits de culture de champignons mal éliminés, des substrats épuisés ou la culture de champignons en plein air ont probablement joué un rôle. 

En Afrique, Pleurotus citrinopileatus a été trouvé en plein air dans plusieurs pays au tournant du millénaire: au Cameroun, en Tanzanie, au Kenya, au Nigeria et au Burundi, ainsi qu’au Yémen, dans la péninsule arabique.

En Europe, le pleurote jaune n’a guère pu se répandre à l’extérieur jusqu’à présent. Les premières observations ont été faites en France en 1982, au Danemark en 1998 et en Suisse en 1999. Le champignon a également été signalé de manière isolée en Belgique, en Espagne, en Allemagne, en Italie, aux Pays-Bas et en Hongrie. Si les découvertes ont été faites à l’extérieur, c’est parce que des kits de culture y ont été jetés. De même, les découvertes isolées dans la nature proviennent probablement de cultures privées ou commerciales et pourraient avoir été transportées délibérément ou non avec du substrat. Une propagation autonome par des spores serait également possible. 

En Suisse, où le champignon a été mis sur le marché en 1983, il existe un spécimen d’herbier du Tessin datant de 1999; la découverte suivante n’a toutefois eu lieu qu’en 2019 à Zurich, et la troisième, enfin, en 2024 sur une souche d’arbre dans une forêt bâloise (fig. 1 et 3). On ne sait pas si le substrat a été inoculé par quelqu’un ou si les spores se sont échappées de la culture. Aucune autre propagation n’a été observée dans cette forêt jusqu’à présent.

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Autres exemples de champignons cultivés naturalisés

Contrairement aux plantes exotiques retournées à l’état sauvage, les dangers potentiels des champignons de culture naturalisés n’ont guère été discutés et étudiés jusqu’à présent.

Pour le champignon le plus cultivé au monde,l’agaric bispore (Agaricus bisporus), également connu sous le nom de champignon de Paris, il est prouvé que les formes sauvages locales sont en partie supplantées par des échappées de culture dont la diversité génétique est moindre. En Californie, ce phénomène a déjà été démontré dans les années 1990, suite à l’introduction de formes cultivées en provenance d’Europe. Et en Europe également, des variétés cultivées retournent régulièrement à l’état sauvage, par exemple par le biais de déchets de cuisine.

De nombreux champignons de culture se rencontrent sur le bois mort, d’où le risque qu’ils évincent les champignons du bois mort indigènes dans la nature par concurrence. Le shiitake (Lentinula edodes, syn.: Lentinus edodes), originaire d’Asie de l’Est et qui dégrade le bois, fait également partie des espèces de champignons les plus cultivées au monde et on le trouve sporadiquement dans la nature dans de nombreux pays, y compris en Suisse. Dans les régions côtières d’Amérique du Nord, le champignon se propage dans la nature depuis 2018 environ, et il forme souvent localement de grandes quantités de fructifications. 

Un autre champignon de culture qui peut apparaître localement en grandes populations dans la nature est la Strophaire à anneau rugueux (Stropharia rugosoannulata), qui a probablement été introduite en Europe depuis l’Amérique du Nord. Elle a été cultivée pour la première fois dans les années 1960 en Allemagne. Au fil du temps, elle s’y est progressivement répandue. Elle est souvent cultivée dans les jardins sur de la paille ou du bois haché. Dans la nature, elle peut pousser sur les surfaces les plus diverses paillées avec des restes de plantes et on la trouve souvent dans les parcs et les jardins ou dans les cimetières. Mais elle disparaît généralement rapidement après la décomposition du substrat.

Il est difficile de surveiller l’impact des champignons de culture naturalisés sur la nature, surtout lorsqu’il existe une forme sauvage indigène qui se distingue extérieurement à peine de la forme cultivée. C’est ce que montre l’exemple du pleurote en huître (Pleurotus ostreatus), répandu presque partout dans le monde, en Europe:

Bien qu’il soit également indigène chez nous, des formes de culture provenant d’autres régions du monde sont souvent utilisées. Celles de Floride ou de la côte est des États-Unis sont censées présenter une coloration plus claire et former des fructifications aussi en été, tandis que les souches d’Europe centrale fructifient généralement en hiver. Souvent, seule une analyse génétique permet de clarifier la situation. 

En outre, le pleurote pulmonaire indigène (P. pulmonarius), avec ses fructifications claires, ressemble beaucoup aux formes cultivées du pleurote en huître de l’est des États-Unis, encore que le pleurote pulmonaire ait une odeur fraîche d’anis. Certaines découvertes supposées du pleurote pulmonaire en Europe, y compris en Suisse, pourraient en réalité être des pleurotes en huître de culture retournés à l’état sauvage.

Invasif ou pas ?

La propagation déjà décrite du pleurote jaune (P. citrinopileatus) en Amérique du Nord est très rapide. Il a récemment été prouvé que ce champignon introduit a un impact négatif sur l'écosystème local. La présence du pleurote citronné modifie la composition de la faune fongique locale et réduit la diversité des espèces fongiques (source). Par conséquent, P. citrinopileatus doit être considéré comme une espèce envahissante en Amérique du Nord.

En Suisse et en Europe, le champignon n’est pas (encore) considéré comme envahissant, car il est observé trop irrégulièrement et en trop petit nombre dans la nature, et rien n’indique jusqu’à présent qu’il puisse avoir un impact négatif sur les champignons indigènes. Comme le pleurote jaune est particulièrement apte à former des fructifications par temps chaud, il faut s’attendre à une propagation encore plus importante dans le cadre du changement climatique, ce qui pourrait lui conférer un avantage à long terme par rapport aux espèces de champignons indigènes.

Lutte et prévention

Dans les forêts d’Amérique du Nord, il est impossible d’empêcher la propagation du pleurote jaune, mais il est possible de la surveiller. Compte tenu de l’augmentation constante de la culture de champignons (fig. 4), il est également de plus en plus nécessaire de promouvoir des pratiques responsables dans le monde entier. Les cultivateurs amateurs ne devraient pas jeter le substrat à l’air libre afin d’éviter que les spores ne se répandent dans les forêts locales. Au contraire, les kits de culture devraient être émiettés et seulement ensuite compostés afin de permettre aux moisissures et aux bactéries de les décomposer.

Idéalement, seules les espèces indigènes provenant de populations locales devraient être cultivées. L’exemple mentionné du pleurote en huître montre que même pour les espèces indigènes, il ne faut pas utiliser de souches de culture exotiques afin d’éviter l’apparition de souches de champignons exotiques potentiellement envahissantes.

Les espèces de champignons exotiques ne devraient pas être cultivées en plein air, mais uniquement à l’intérieur, et les espèces lignivores ne devraient en outre pas être cultivées à proximité de forêts, de dépôts de bois ou de constructions en bois, car les champignons pourraient attaquer ce bois via leurs spores et échapper ainsi à la culture. Il existe parfois des variétés sans spores, par exemple une version japonaise du pleurote jaune, qui a été développée pour prévenir des allergies.

Lors de la récolte de champignons cultivés déjà naturalisés et potentiellement envahissants, il ne faut pas les porter dans un sac en filet comme les autres champignons, mais dans un sac en papier afin de réduire la dissémination des spores dans la forêt.

Où signaler, où demander conseil ?

Pour une meilleure compréhension de la répartition du pleurote jaune ou d’autres champignons de culture trouvés dans la nature, chaque annonce de découverte est très précieuse. Annoncez vos trouvailles à SwissFungi, le centre national de données et d’informations sur les champignons suisses. Les spécimens d’herbier séchés peuvent également être envoyés à SwissFungi pour une vérification génétique. Vous trouverez plus d’informations dans la rubrique Participer du site Internet de SwissFungi.