Des sols sains constituent en effet un système doté d'une forte capacité à assurer leur propre conservation et remplissent l'ensemble des fonctions du sol. C'est la raison pour laquelle il est important de tenir compte des objectifs liés à la protection des sols. Le Programme forestier suisse (PFS 2004) a jeté les bases de la future politique forestière. Un des cinq objectifs prioritaires de ce programme consiste à "protéger les sols forestiers, les arbres et l'eau potable".
Les autorités fédérales, les services cantonaux forestiers et ceux chargés de la protection des sols et l'Institut fédéral de recherches WSL ont déployé des efforts importants pour améliorer la protection physique des sols en forêt, élaborer les bases scientifiques dans ce domaine, et dispenser des formations.
Le droit environnemental suisse définit les exigences en matière de protection du sol par le maintien à long terme de la fertilité du sol. Un sol est considéré comme fertile s’il présente une biocénose diversifiée et biologiquement active, une structure typique pour sa station, et une capacité intacte à décomposer la matière organique. La croissance et la qualité des plantes ne doivent en outre pas être altérées.
A l'échelle de la forêt, ceci signifie que la biocénose forestière doit être capable d'assurer son renouvellement de manière durable par régénération naturelle. La croissance racinaire des essences adaptées à la station ne doit être entravée que par des limites naturelles, et l'activité biologique du sol doit permettre une décomposition normale des matériaux végétaux en fonction des conditions stationnelles.
Quelles menaces pèsent sur le sol forestier ?
Dans un grand nombre de forêts suisses, le passage d'engins forestiers cause des dégradations profondes et durables qui portent atteinte aux fonctions vitales du sol (figure 1). La réduction du volume et du réseau des pores entrave la circulation de l'air et de l'eau dans le sol. Dès le premier passage d'engins, non seulement les horizons supérieurs du sol sont compactés et déformés ; le poids souvent très important des engins et la répartition dynamique des pics de charge lors des passages ont également des effets en profondeur.
Que peut faire la pratique ?
- Chercher un compromis entre le souci d'efficacité lors de la récolte du bois (figure 2) et l'application d'objectifs fixés par le législateur en matière de maintien de la fertilité du sol.
- Définir des aides à la décision pour fixer les conditions d'utilisation d'engins ménageant les sols forestiers et pour élaborer la planification de la desserte de détail.
- Définir les conditions de circulation et les réglementations techniques en fonction des stations.
- Tester l'utilisation de technologies modernes, le recours à des mesures incitatives et la mise en œuvre d'une analyse de coût-efficacité.
- Développer des stratégies de prévention au niveau de la planification et de la réalisation des travaux.
- Rédiger des recommandations pour encourager l'application de mesures favorisant la régénération.
Quelles difficultés rencontre-t-on ?
Les interactions entre les facteurs stationnels et ceux liés à l'utilisation d'engins et aux techniques d'exploitation sont malaisés à saisir globalement, et leur impact donc difficile à mesurer. Il est délicat de prévoir les dégâts, ou d'estimer et de justifier les valeurs limites – par exemple la teneur maximale en eau du sol permettant le passage d'engins. Nos connaissances en écologie, les impératifs économiques, les progrès techniques et les pressions sociétales sur la forêt et l'économie forestière imposent une réflexion en profondeur pour définir un cadre conceptuel pour la protection physique des sols en forêt.
Quelles mesures peuvent-elles être appliquées ?
Dans bien des forêts touchées par Lothar, l'exploitation des chablis a laissé une densité élevée d'ornières à maints endroits sur toute la surface. Il faudra à l'avenir obéir au principe de limitation du passage d'engins, même après une catastrophe naturelle, exclusivement aux dessertes de détail.
Une typologie des ornières a été définie en accord avec les valeurs indicatives et les seuils d’investigation prévus par l'ordonnance sur les atteintes portées aux sols (OSol, 1998). Elle permet de rendre compte de l'étendue des dégâts. Ces valeurs et ces seuils concernent la densité apparente effective, le volume des pores grossiers, la conductivité hydraulique saturée, et la (BGS, 2004). Les ornières discernables en surface causent souvent des dommages jusqu’au sous-sol (fig. 3).
Fig. 3 - Résistance à la pénétration en fonction de la profondeur, mesurée à l'aide d'une sonde PANDA sur un site forestier de référence vierge de tout passage, après un passage unique et après plusieurs passages.
Remarque à la figure 3:
Les données mesurées sur le site de référence (sans passage) jusqu'à 100 cm de profondeur ont été comparées à celles mesurées après un passage unique avec une récolteuse dans de bonnes conditions, c'est-à-dire avec une faible humidité du sol, et à celles mesurées sur une ornière causée par des passages répétés dans des conditions d'humidité variables (déblaiement de chablis après la tempête Lothar). La résistance à la pénétration après passage n'atteint des valeurs comparables à celles mesurées sur le site de référence qu'à partir de 55 cm de profondeur (passage unique), voire 75 cm de profondeur (passages répétés).
Quelles mesures peuvent-elles être appliquées ?
A condition de respecter certains principes et d'appliquer à temps des mesures préventives lorsque les conditions stationnelles locales présentent un risque élevé, il est possible de limiter les dégâts causés aux sols. Outre la connaissance des propriétés et du degré de fragilité d'un sol donné, la prévention implique une bonne compréhension des processus en jeu. Ceci permet alors d'appréhender les relations entre les atteintes faites au sol et les techniques d'exploitation optimales, et de les communiquer à la pratique. La protection du sol commence par le choix des engins (poids, nombre de roues) et des équipements (pneus, semi-chenilles, etc.). Il importe ensuite de planifier soigneusement la desserte de détail.
L'humidité du sol doit être connue avant de décider d'engager des engins. Selon les conditions météorologiques, il convient donc de la mesurer sur le site d'exploitation. Plus un sol est humide, plus il sera sensible aux charges. Après un épisode pluvieux, il est donc préférable de reporter si possible de plusieurs jours les intervention prévues sur des sols sensibles, et de n'entreprendre que des interventions sur les sols les moins fragiles.
Régénération
Les dégâts dus au passage d'engins ne se régénèrent souvent qu'après un délai très long. Dans certains cas, ils peuvent même être quasi irréversibles. Pour des sols fortement endommagés, des mesures d'assainissement appropriées pourraient faciliter ou accélérer la revitalisation. Ces mesures doivent encourager les processus naturels de régénération. Diverses méthodes ont été évaluées pour améliorer le développement racinaire et donc le système poreux et l'activité biologique des sols.
Traduction : Michèle Kaennel Dobbertin (WSL)