La desserte fine permet de réduire le risque de dégâts au sol et au peuplement restant et de le concentrer sur une surface réduite et sur quelques arbres. Elle contribue à la sécurité au travail et à l’efficacité, et favorise la vue d’ensemble. Une desserte fine bien planifiée et mise en place permet d’exploiter une plus grande surface de forêt avec le minimum de déplacement des engins. La planification et l’optimisation de la desserte fine sont des tâches exigeantes. Un seul passage de machine suffit à perturber le sol forestier. C'est pourquoi la desserte fine doit être définie pour durer et être utilisée lors de toutes les interventions ultérieures. Après une tempête ou une longue phase de rajeunissement, il devient difficile de retrouver sur le terrain les layons de débardage.

Desserte fine – saisie numérique

La connaissance du tracé de la desserte fine peut aussi être tout simplement perdue suite à des changements au sein du personnel. Ces raisons ont amené le service des forêts du canton d’Argovie à recommander la digitalisation de la desserte et à soutenir les entreprises forestières dans cette tâche par des conseils, la préparation des relevés et leur traitement ainsi que la mise à disposition d’outils de positionnement GPS.

Les chemins forestiers font déjà l’objet de relevés systématiques dans tout le canton. Ces relevés sont mis à disposition des exploitants pour leurs besoins de planification dans un système d’information géographique (SIG) en ligne (BKOnline). La desserte fine, par contre, n’est cartographiée qu’à hauteur de 40 % de la surface forestière.

Jusqu’en 2014, la desserte fine était recensée directement en forêt par GPS. Depuis cette date, des données LiDAR couvrent tout le canton et permettent une cartographie manuelle à l’ordinateur. À cet effet, un modèle numérique de terrain (MNT) est calculé sur la base des données LiDAR puis traité de façon à rendre le relief visible.

LiDAR

LiDAR («light detection and ranging») est une technique de mesure par laser. Elle peut être implémentée sur un avion pour traiter précisément de grandes surfaces de terrain. Elle fournit un nuage de points en trois dimensions (voir figure 2) recelant de nombreuses informations sur la forêt et le sol.

Rendre les structures du sol visibles

La méthode classique, dite «hillshading», permet de mettre en évidence les structures du sol en simulant une position du soleil à un moment donné, en calculant son ombre portée théorique et en représentant le tout sur une carte (figure 3a.). En fonction de la position simulée du soleil, cette méthode présente cependant l’inconvénient que des parties du relief deviennent invisibles, par exemple les ornières parallèles à la direction du soleil, ou celles qui se situent dans des expositions nord, alors que la position du soleil est simulée au sud.

Fig.3 Cartes de structure du relief issues des données LiDAR. Méthode «hillshading» (a), méthode argovienne (b).

C’est pourquoi le canton d’Argovie a développé sa propre méthode pour mettre en évidence le relief fin. Cette «méthode argovienne» fonctionne indépendamment de la simulation de la position du soleil et permet de révéler de façon uniforme toutes les structures du sol (figure 3b). Ainsi, les traces de passage des machines, généralement bien visibles, peuvent être directement numérisées sur la carte. Cette méthode permet de retrouver et numériser environ deux tiers de la desserte fine. Malgré le support technique, cette opération reste cependant très chronophage. La reconnaissance des ornières demande en plus une certaine expérience de la part de l’opérateur.

Le modèle apprend à reconnaître les caractéristiques

Raffael Bienz, coauteur de ces lignes, a suivi une formation continue en science des données à la Haute école spécialisée du Nord-Ouest de la Suisse. Dans le cadre de son travail de fin d’études, il a utilisé les données disponibles (cartes du relief de terrain et layons déjà recensés) pour développer un modèle de reconnaissance d’images destiné à détecter automatiquement les layons dans les zones forestières non encore analysées du canton. À cette fin, un réseau artificiel de neurones a été entraîné pour reconnaître la desserte fine et l’inscrire sur la carte du relief. La structure de base du modèle repose sur le principe de segmentation d’image «U-Net», développé pour l’analyse d’images médicales. Il est intéressant de noter que les prises de vues médicales par microscope électronique présentent des similitudes optiques avec des représentations LiDAR – les deux types d'images sont en niveaux de gris. Ceci pourrait expliquer pourquoi le modèle a si bien fonctionné avec les données LiDAR.

Le modèle est construit en plusieurs couches et présente, comme son nom l’indique, une forme en U (fig. 4). Sur la gauche de la figure, un extrait de la carte du relief de terrain (150 × 150 mètres) est soumis au modèle. Le système traite l’information (partie gauche du U) et en extrait certains attributs caractéristiques.

Ce sont précisément ces caractéristiques que le modèle apprend à reconnaître et à qualifier automatiquement pendant le processus d’entraînement. Plus il descend dans les couches discriminantes, plus les caractéristiques sont complexes à identifier. Dans les couches d’algorithmes les plus élevées, ce sont les structures les plus simples qui sont reconnues, comme des lignes et des rebords. Dans les couches plus profondes, le modèle est alors capable de reconnaître des structures très complexes, comme les ornières.

Fig 5. a) Extrait de la carte du relief (soumis au modèle d’analyse d’image). b) Carte du relief après traitement pour mettre en évidence les ornières (résultat du modèle).

Dans un deuxième temps (partie droite du U), un masque ne comprenant que ces particularités est créé et tous les pixels correspondant aux ornières sont alors reportés sur la carte du relief de terrain (fig. 5). Cette méthode a permis d’établir la carte de toutes les ornières en forêt argovienne. Cependant, ces données n’étaient pas encore optimales. Pour un usage pratique, elles devaient être retravaillées, afin que les alignements de pixels sur la carte (format raster) soient transformés en vecteurs. Dans une deuxième phase, un autre algorithme a été développé pour vectoriser les lignes pixélisées mises en évidence par le modèle. Cela permet de pouvoir représenter les layons de façon lissée, indépendamment du facteur de zoom (fig. 6).

La méthode a très bien fonctionné:

  • Les ornières visibles sur la carte LiDAR ont été détectées à raison d’environ 90%; 126 000 traces ont été ainsi relevées automatiquement dans le canton d’Argovie. Dans quelques cas isolés, le modèle s'est trompé et a classé comme ornières des chemins forestiers ou des fossés de drainage.
  • Ce produit est très utile dans le cadre de la mise en valeur et de l’optimisation de la desserte fine. Il soulage les exploitants forestiers en leur fournissant toutes les informations dont ils ont besoin. Les ornières identifiées sont mises à disposition sous la forme d’une couche SIG que les tablettes numériques employées en forêt peuvent reprendre en l’état.
  • Les connaissances du terrain des intéressés leur permettent de valider en tant que desserte fine une grande partie des ornières cartographiées automatiquement.
  • Les pistes qui n’auraient pas été identifiées ou des layons récents sont alors relevés de manière conventionnelle sur place, par GPS, puis saisis dans le SIG.
  • Cela permet d’optimiser tout le système de desserte fine.

Une fois numérisé, le réseau de desserte fine sert de référence pour attribuer les mandats d’interventions et de coupes. Les données peuvent être envoyées préalablement aux entreprises; leurs machinistes sont en mesure de se repérer précisément par GPS sur le terrain. Le modèle argovien de reconnaissance d’ornières est mis à disposition librement sur Internet. Des tests effectués par d’autres cantons avec les données LiDAR de Swisstopo ont montré que les algorithmes argoviens fonctionnaient aussi bien hors du canton.

Potentiel pour une analyse plus approfondie

Le jeu de données sur la desserte fine pourrait contenir un grand potentiel pour des analyses plus approfondies. Il serait par exemple envisageable de trouver et de combler des lacunes dans le système de desserte à l'aide de ces données. Ou que l'on évalue le système de récolte du bois idéal pour différentes régions. Pour que cela soit possible, il faudrait d'abord relier le jeu de données sur la desserte fine à d'autres jeux de données (p. ex. le réseau de routes forestières). Le canton d'Argovie y travaille actuellement. Le modèle est disponible sur Internet. Des tests effectués par d’autres cantons avec les données LiDAR de Swisstopo ont montré que les algorithmes argoviens fonctionnaient bien hors du canton aussi.

La forêt virtuelle

La technique LiDAR est aussi employée dans le monde entier pour analyser des zones boisées. Ainsi, en France, l’Office national des forêts (ONF) a mené une campagne de vols LiDAR près du massif du Mont-Blanc (Haute-Savoie). D’après l’ONF, les données récoltées ont pour but «de pouvoir mieux décrire les forêts et estimer leur valeur», cette valeur étant à prendre au sens écologique plus que monétaire. Les premiers résultats sont attendus prochainement. En Haute-Savoie comme en Argovie, l’objectif est de collecter des détails sur la desserte, mais aussi sur la biodiversité, notamment la composition en espèces, ainsi que les conséquences du changement climatique, et sur la santé des peuplements.

Depuis des années, diverses équipes de scientifiques travaillent dans le monde entier à numériser les peuplements forestiers, non seulement depuis les airs, mais aussi au sol. L’intention est de créer pour une forêt réelle donnée son «jumeau» numérique, cette «forêt virtuelle» offrant un champ de simulation pour toutes sortes d’interventions. Déjà aujourd’hui, les images laser ne proviennent plus exclusivement de vues aériennes. Elles sont aussi captées par des scanners laser opérant au sol. (hws)