La discussion sur la conservation de la fertilité des sols dans les forêts suisses a de nouveau gagné en importance, tout particulièrement en lien avec la récolte d’arbres entiers. Comme le démontre la série de 25 années d’études réalisées dans actuellement 133 surfaces d’observation forestières de l’institut de biologie végétale appliquée (IBA), les arbres en forêt démontrent de plus de plus de carences en phosphore, magnésium (Fig. 2) et en partie également en potassium (Fig. 3). En 1984, 12% des surfaces de hêtres et 11% des surfaces d’épicéas étaient sous-approvisionnées en phosphore, alors qu’en 2007, c’étaient respectivement 71 et 67%. En 1984, des carences en magnésium avaient été observées dans 10% des surfaces de hêtre, tandis qu’en 2007 on en constatait dans 50% de ces surfaces (Fig. 4). La diminution de la concentration en phosphore équivaut à 28% chez le hêtre et à 22% chez l’épicéa, tandis que les concentrations en magnésium et en potassium ont diminué à chaque fois de 29%.

Il est déjà possible de mettre clairement en relation l’approvisionnement en phosphore et l’accroissement en diamètre des arbres. Plus la teneur en phosphore dans les feuilles et les aiguilles est faible, plus l’accroissement sera réduit (Fig. 5). Des expériences suggèrent que les dépôts d’azote sont impliqués dans les modifications de la présence de ces éléments nutritifs.

Une augmentation de l’acidité des sols a été observée au cours de la même période. Cette acidification s’est produite bien plus rapidement que ce qu’il est possible d’expliquer sur la base de processus naturels. Les composés azotés sont une partie importante des dépôts acidifiants provenant de l’air. Le pouvoir acidifiant de l’azote a également pu être démontré dans le cadre de cette expérience. Dans les horizons du sol sans calcaire des surfaces d’études forestières (56 surfaces sur un total de 94) la saturation en bases, c'est-à-dire l’occupation du complexe d’échange d’ions du sol avec des ions calcium, potassium, magnésium et sodium, a diminué significativement de 5,3% entre 1996 et 2005. Lorsque l’on imagine la lenteur des processus pédologiques, ce résultat en l’espace d’à peine neuf ans est particulièrement digne d’attention.

Une saturation en bases inférieure ou égale à 15% est considérée comme critique. Dans 13% des surfaces d’observation IBA la saturation en bases reste inférieure à cette valeur. Pour une exploitation durable, Puhe et Ulrich (2001) recommandent les valeurs minimales de saturation en bases présentées au tableau 1 pour les différentes essences forestières. Il a déjà été possible de constater un risque accru de chablis dans les surfaces d’observation IBA avec une saturation en bases inférieures ou égales à 40%. Ceci est le cas dans 45% des surfaces d’observation.

Tableau 1 - La saturation en bases indispensable, pour différentes essences, à une exploitation durable.

EssenceSaturation nècessaire en bases
Erable champêtre, orme de montagne, frêne, tilleul à petites feuilles90%
Erable plane, merisier70%
Erable sycomore, charme60%
Hêtre, chêne50%
Sapin blanc, épicéa, pin, douglas, mélèze30%

Les branches et le feuillage sont riches en éléments nutritifs

La récolte habituelle de la biomasse du tronc n’a que peu de conséquences sur les pertes en éléments nutritifs. En effet, le bois de la tige est, comparé aux autres parties de l’arbre, beaucoup plus pauvre en éléments nutritifs (Fig. 6). En revanche, si les branches ou le feuillage sont exportés en dehors de la forêt, il en résulte une multiplication des pertes en éléments nutritifs. Ces compartiments ne représentent qu’une petite partie de la biomasse de l’arbre mais ils sont bien plus riches en éléments nutritifs (Fig. 7).

Ainsi, la fabrication de copeaux de bois pour les installations de chauffage, pour laquelle une grosse part des couronnes en partie avec le feuillage (Fig. 1) est broyée, a des conséquences étendues sur la fertilité des sols et l’approvisionnement en éléments nutritifs. Ce genre d’exploitation n’est durable que sur quelques stations. L’acidification des sols s’accélère sur les sols pauvres en base (Fig. 8). Même sur des stations calcaires, l’exportation répétée de phosphore et de potassium peut mener à des carences en éléments nutritifs.

Le recyclage des éléments nutritifs

L’exportation répétée d’éléments nutritifs peut être compensée par la restitution de cendres issues de bois naturel. Les cendres contiennent tous les macroéléments nutritifs retirés à la forêt à l’exception de l’azote (Tableau 2). La perte d’azote apparaît plutôt comme un avantage, puisque l’augmentation des entrées d’azote en forêt représente actuellement un problème. De plus, les cendres agissent contre l’acidification des sols grâce à leur teneur élevée en cations basiques.

Tableau 2 - Teneur des cendres en éléments nutritifs

Eléments nutritifsTeneur en %
Calcium15–46
Magnésium1–2
Potassium3–4
Phosphore1–2
pH10–13

L’ordonnance sur les substances considère actuellement les cendres comme une substance étrangère avec des valeurs limites strictes concernant la concentration des métaux lourds. Les concentrations observées apparaissent effectivement élevées au premier coup d’œil (Tableau 3), mais il faut considérer le fait que ces métaux lourds proviennent tous de la forêt. De plus, une partie des métaux lourds s’évapore lors de la combustion et est éliminée dans les cendres sous cyclone et les cendres de filtre. Le toxique Chrome VI fabriqué lors de la combustion est rapidement réduit en Chrome III suite au contact avec la matière organique des sols. Il n’est par conséquent pas problématique à condition qu’aucun lessivage direct dans la nappe phréatique ne soit à craindre.

Tableau 3 - Composition en métaux lourds des cendres de bois. Les cendres de foyer sont les cendres qui se trouvent dans la chambre de combustion de l’installation de chauffage, les cendres sous cyclone et les cendres de filtre sont les résidus provenant de l’épuration des fumées.

Métaux lourdsCendres de foyer [mg/kg]Cendres sous cyclone [mg/kg]Cendres de filtre [mg/kg]
Zn353.815804505
Cd324.634.7
Cr61.5471.75113.3
Cu162.39173.15277.04
Ni46.1738.9254.38
Pb32.96286.3294.84


Les expériences réalisées avec des essais d’épandage de cendres en forêt sont dans l’ensemble positives. Outre une augmentation de la croissance, l’approvisionnement en éléments nutritifs et en particulier en phosphore et en potassium s’est amélioré. En général, il a été possible d’observer une augmentation de la saturation en bases du sol forestier et une diminution de l’acidité des sols.

L’effet d’une amélioration de l’approvisionnement en potassium et en phosphore peut durer des décennies, tandis qu’une augmentation redoutée du lessivage des nitrates n’a été observée que lors de l’application de doses très élevées (18 t/ha). Les quantités recommandées se situent entre 2 et 3 t/ha, sous la forme de granulés qui permettent une libération lente des éléments (Slow-Release).

En résumé…

Durant les 25 dernières années, l’approvisionnement en éléments nutritifs de nos arbres en forêt, en particulier en phosphore, magnésium et potassium, a nettement régressé. La saturation en bases sur les stations non calcaires a également nettement diminué. L’exploitation des branches ou de la couronne entière avec les feuilles/aiguilles représente une augmentation massive des pertes en éléments nutritifs. Ces pertes ne sont que rarement compensées par des réapprovisionnements issus de l’altération des sols ou des dépôts atmosphériques. Une exploitation durable des forêts doit se limiter aux prélèvements des éléments nutritifs contenus dans le bois fort, ou alors recycler les éléments nutritifs prélevés en les restituant sous forme de cendres. Mais pour cela, il faut d’abord dépasser les obstacles légaux.

Traduction: Guaraci forest consulting SA