Le douglas est plus productif, plus adaptable et plus résistant que l’épicéa. Malgré ces avantages, cette essence d’origine nord-américaine est encore trop peu mise en valeur chez nous. Au Bade-Wurtemberg, la région d’Allemagne qui en cultive le plus, elle ne représente que 3,5% de la surface forestière et se limite surtout aux forêts publiques.

L’administration des forêts domaniales du Bade-Wurtemberg, Forst BW, travaille actuellement à accroître la proportion de douglas dans les forêts plus fortement que ce n’était prévu au départ. Un groupe de travail de Forst BW va rédiger à cet effet des recommandations sylvicoles. Werner Erb, de la direction de Forst BW à Stuttgart, s’en explique: «Les objectifs en matière de proportion des différentes essences sont définis chez nous sur la base de recommandations sylvicoles. Celles-ci n’existaient jusqu’ici que pour l’épicéa et le sapin, mais pas pour le douglas. C’est seulement après avoir formulé des recommandations pour le douglas que nous pourrons corriger vers le haut son objectif, qui est actuellement de 6%.»

La Forêt-Noire fait ici figure de pionnière, puisque dans les districts forestiers de Baden-Baden, de Fribourg et de Lörrach les peuplements de douglas représentent déjà plus de 10% de la surface forestière. Les villes de Fribourg et de Kandern (circonscription de Lörrach), où la culture de cette essence remonte au XIXe siècle, sont celles qui font le plus pour montrer la voie d’une exploitation moderne du douglas. Elles sont secondées au plan scientifique par l’Institut de recherches forestières (Forstliche Versuchsanstalt, FVA) du Bade-Wurtemberg à Fribourg.

Bon à tout faire et bien payé

Si des questions restent ouvertes au sujet du traitement sylvicole, les experts sont en revanche unanimes quant aux excellentes qualités du bois du douglas. C’est l’essence résineuse présentant la plus large gamme d’applications. Du poteau téléphonique aux aménagements de ruisseaux en passant par les produits de sciage de qualité, l’essence nord-américaine dépasse tous les résineux indigènes, même le mélèze. Il est surtout recherché dans la construction pour ses propriétés mécaniques. Aussi le douglas atteint-il des prix supérieurs à ceux de ses concurrents comme l’épicéa ou le sapin; la différence atteint 25% en moyenne selon les chiffres de Martin Gross, chef du district forestier de Lörrach.

Le prix des assortiments de première qualité ne cesse de grimper: «L’écart entre les qualités A et B s’est fortement creusé ces dernières années.» Martin Gross ajoute: «A la fin des années nonante, les prix du bois A représentaient environ un tiers de plus que ceux du bois B; maintenant, il faut compter plus de 50% en plus.» Les experts de la pratique comme de la recherche recommandent donc aux producteurs de douglas de veiller particulièrement à leur prise de valeur. A Kandern, les produits moyens des ventes de bois A sont de 210 euros (280 francs) par mètre cube. En 2010, un fût a même été vendu 1680 euros (2234 francs) départ forêt.

Un autre avantage du douglas sur les résineux traditionnels est le fait qu’il produit une proportion élevée de bois de valeur. «Avec le mélèze, sur 100 tiges il y en a une qui devient forte, avec le douglas il y en a 80», explique le chef du district forestier. A Kandern, en moyenne, 10% des assortiments de douglas vendu atteignent la qualité A. La demande est bonne également pour le bois B ou le bois de canter. C’est seulement pour le bois C et D que l’économie forestière se plaint de difficultés d’écoulement, principalement du fait que le douglas ne convient pas comme bois de râperie et n’est donc guère prisé par l’industrie de la cellulose.

Objectif qualité

Si, naguère, seuls des spécialistes travaillaient les sciages de douglas, aujourd’hui presque toutes les scieries achètent cette essence. Mais très rares sont encore ceux qui savent juger correctement de la qualité du bois. «Les acheteurs n’évaluent le douglas pratiquement que par la nodosité. D’autres critères importants, comme la densité du bois et la part de bois juvénile, sont à peine pris en compte, mais devraient jouer un grand rôle à l’avenir», estime Ulrich Kohnle, responsable de la division Croissance du bois au FVA.

Au niveau visuel, en sus de la nodosité, le critère le plus important est la largeur des cernes. Ce caractère influence fortement la densité du bois et donc sa résistance. La croissance rapide du douglas fait que la largeur des cernes varie beaucoup, de 1,5 à 8 mm pour le bois brut. Comme le douglas est plus dense que le sapin ou que l’épicéa, la norme allemande sur l’examen visuel (DIN 4074) autorise une largeur de cernes jusqu’à 6 mm pour le classement en première qualité comme bois de sciage destiné à la construction (pour l’épicéa cette limite est de 4 mm). «Cependant, les scieries modernes n’évaluent plus les bois ronds visuellement d’après les cernes, mais mesurent directement la densité du bois (en g/cm3) et déterminent le module d’élasticité dynamique», explique Udo Hans Sauter, responsable de la division Exploitation forestière au FVA.

Ce module se calcule à partir de la densité du bois et de la vitesse de propagation dans celui-ci du son produit par un impact mécanique. Il renseigne sur la résistance et la rigidité du matériau. A ce sujet, Udo Hans Sauter attire l’attention sur la problématique du bois juvénile. «Le bois juvénile est certes plus flexible que le bois adulte, mais aussi moins résistant et ne peut donc s’utiliser que de manière limitée comme bois de construction. Dans le traitement sylvicole des peuplements de douglas, il faudrait donc viser une proportion de bois juvénile aussi faible que possible.»

Jeunesse à la dure et longue vieillesse

Pour la pratique forestière, cela signifie: freiner la croissance les vingt premières années puis, quand les arbres forment du bois adulte, élargir la surface terrière des arbres objectifs pour favoriser leur croissance. Il convient en outre de récolter tard, de manière qu’avec l’âge et la croissance du diamètre la proportion de bois adulte dans les arbres augmente également. On considère qu’un DHP de 50 à 60 cm constitue l’optimum du point de vue économique.

Pour ralentir la croissance pendant la phase juvénile, Ulrich Kohnle recommande une densité de 800 à 1200 tiges à l’hectare pour un rapport optimal entre frais de culture, grosseur des noeuds et croissance du diamètre.

Sur la période de révolution, les avis sont encore divisés. Forst BW recommande des périodes de nonante à cent vingt ans. Le district forestier de Fribourg-en-Brisgau vise pour sa part des durées de cent vingt à cent trente ans.

Son chef, Hans Burgbacher, élève les douglas en peuplements d’abord extrêmement denses jusqu’à atteindre des volumes sur pied de 600 à 700 m3/ha. Ce chiffre est atteint au bout de quarante à cinquante ans selon la station. Ensuite, environ 70% de l’accroissement est «écrémé» chaque année. Le but de ce traitement est d’optimiser la production de bois de valeur grâce à l’allongement de la durée des soins. «Au contraire de l’épicéa, ce type de traitement est possible sur nos stations», précise Hans Burgbacher. «D’une part, grâce à son système racinaire important, le douglas résiste bien aux tempêtes et autres calamités. D’autre part, atteignant quelque 50 m, il est plus grand d’un bon tiers que l’épicéa. Un même arbre fournit donc des lots de qualités A et B. C’est précisément le but de notre stratégie sylvicole.»

Et ça marche, puisque le district forestier de Fribourg-en-Brisgau a enregistré ces dix dernières années, pour la «classe d’exploitation douglas», un produit moyen de 800 euros (1040 francs) par hectare et par an. «Echelonner ainsi l’exploitation d’un peuplement sur de nombreuses années donne à l’entreprise forestière une grande souplesse pour la commercialisation», explique Hans Burgbacher. A l’âge de 30 ans, on obtient déjà du bois de canter, et les années suivantes le peuplement livre de manière continue des assortiments variables à proportion toujours plus grande de bois de qualité jusqu’à la coupe finale.

A mélanger avec précaution

Une longue période d’exploitation pose cependant des limites au rajeunissement des peuplements. Bien qu’on ne dispose pas encore de données sûres à ce sujet, les chercheurs du FVA redoutent qu’à laisser trop longtemps les jeunes plants sous les vieux arbres on ne nuise à la formation de leurs racines. «Au nom du principe de précaution, nous recommandons d’exploiter entièrement l’ancien peuplement en dix à vingt ans, sitôt que le rajeunissement naturel a atteint une hauteur suffisante pour ne plus craindre de concurrence», dit à ce propos Ulrich Kohnle.

Comme les plantons de douglas sont très sensibles, la plantation et les soins culturaux occasionnent beaucoup de travail, si bien que les forestiers encouragent le rajeunissement naturel. Même ainsi, la culture du douglas requiert plus de plantation complémentaire et de soins que l’épicéa. C’est une des raisons qui restreignent la possibilité de produire du douglas en peuplement mixte.

Une autre raison tient au fait que le douglas, par sa forte croissance, tend avec l’âge à éliminer les autres essences et à former de lui-même des peuplements purs. Cette dynamique naturelle rappelle dangereusement les monocultures d’épicéa créées dans l’après-guerre qui se sont révélées trop vulnérables. Pour éviter de répéter les erreurs du passé avec une autre essence, les chercheurs du FVA préconisent de cultiver le douglas surtout en mélange par groupes, c’est-à-dire en peuplements purs de faible superficie dispersés parmi d’autres essences. De cette façon, même si le climat change, on évite que le douglas n’évince inexorablement l’épicéa.

La réticence que suscite encore le douglas s’est fait sentir à l’occasion de la journée du douglas organisée par le FVA le 21 octobre 2010 à Denzlingen, près de Fribourg-en-Brisgau. La secrétaire d’Etat du ministère de l’Agriculture du Bade-Wurtemberg, Friedlinde Gurr-Hirsch, y a certes déclaré: «Au vu du réchauffement climatique et des risques qui s’ensuivent pour l’exploitation de l’épicéa, le douglas représente une option pour notre stratégie d’adaptation à l’évolution du climat.» Mais pour ajouter aussitôt: «Le douglas (...) n’est certainement pas une essence miracle ni une panacée contre le changement climatique.»

Traduction: Rémy Viredaz