Une grande partie des forêts de protection alpines est composée soit d’épicéas et de sapins, soit d’épicéas à l’étage subalpin, soit de mélèzes et d’aroles à l’étage intra-alpin. En l’état actuel des connaissances, les forêts de protection qui résistent le mieux aux tempêtes et à la pression de la neige sont celles qui présentent les caractéristiques suivantes:

  • irrégularités verticales et horizontales
  • différences d’âges
  • structure appelée "par collectifs", c’est-à-dire par petits groupes d’arbres
  • rajeunissement bien réparti et viable

Ces forêts devraient ainsi être capables d’assurer en permanence le rôle protecteur qui leur est attribué. En effet, d’après les connaissances actuelles, les peuplements bien structurés, avec un large éventail de diamètres de troncs, offrent également la meilleure protection à long terme contre les chutes de pierres.

De nos jours on trouve de nombreux peuplements uniformes

Les Alpes suisses abritent de nombreux peuplements d’épicéas qui n’ont pas été exploités depuis longtemps pour des questions de coûts. Sur les pentes jadis temporairement privées d’arbres en raison de défrichements, de coupes à blanc, d’incendies de forêt ou de tempêtes, on trouve aujourd’hui des peuplements d’épicéas uniformes. Dans d’autres stations, un pacage en forêt tout d’abord intensif puis abandonné par la suite a généré des peuplements particulièrement denses et tout aussi homogènes. Si ces peuplements restent livrés à eux-mêmes sans éclaircies, leur structure risque de se dégrader à certains endroits (hausse des coefficients d’élancement, raccourcissement des houppiers etc.) ce qui entraîne une diminution de leur résistance aux tempêtes et aux contraintes neigeuses.

Objectif: forêt jardinée de montagne

Par conséquent, les mesures de restauration sylvicole ont pour but de transformer progressivement ces peuplements en "forêts jardinées de montagne", au moyen de plusieurs interventions étalées sur des périodes moyennes (20 à 50 ans) à longues (50 à 150 ans) en fonction de la situation initiale. Mais si le concept de ce procédé est clair, il n’a pas encore été beaucoup testé dans la pratique. La question est donc de savoir s’il est réellement possible de modifier par des éclaircies des peuplements d’épicéas denses, avec des arbres à houppiers courts et répartis régulièrement, afin qu’ils ressemblent à des "forêts jardinées de montagne".

Surfaces d’observation à long terme

Un projet de l’Institut fédéral de recherches WSL a pour but d’étudier et de documenter les effets à long terme d’interventions ciblées sur les "peuplements problématiques" dans certaines stations. Entre 1993 et 1998, en collaboration avec les services forestiers locaux, les chercheurs ont aménagé quatre nouvelles surfaces d’observation à long terme dans des peuplements d’épicéas denses et uniformes dans les Alpes de Suisse et du Liechtenstein. Les surfaces se trouvent à Plasselb (Fribourg), Triesenberg (Liechtenstein), Elm (Glaris) et Siat (Grisons), à une altitude comprise entre 1360 et 1620 mètres. Chacune d’elle est accompagnée d’une surface témoin située à proximité et sur laquelle aucune intervention n’est pratiquée. Les observations à long terme ont pour but de répondre aux questions suivantes:

  • Quelle est l’évolution des différents paramètres structurels des peuplements suite à l’éclaircie?
  • Les surfaces traitées évoluent-elles dans la direction souhaitée? Le rajeunissement s’installe-t-il? Les peuplements se développent–ils vraiment mieux que leurs voisins qui ne subissent aucune intervention?
  • Est-il possible de transformer progressivement les peuplements en forêts de montagne jardinées plus stables, prenant la forme d’une mosaïque d’arbres d’âges différents?

Connaissances actuelles

Les premiers résultats ont montré que parmi les paramètres étudiés, les plus sensibles aux interventions étaient la répartition des arbres sur la surface (indice de Clark et Evans RC&E), la densité du peuplement (Stand Density Index SDI) et le coefficient d’élancement (h/d). Ils semblent constituer de bons indicateurs de l’effet des traitements choisis. En effet, ces paramètres sont directement influencés par la modification du nombre de tiges et par la répartition spatiale des arbres éloignés. La longueur de houppier et ce que l’on appelle le coefficient d’homogénéité réagissent moins vivement et sont donc moins appropriés pour renseigner sur les effets des traitements à court terme.

Les premiers résultats permettent de conclure qu’il est possible, à partir de situations initiales variées, d’influencer les structures des peuplements pour les faire évoluer vers une forêt jardinée de montagne irrégulière et dotée d’arbres d’âges différents. Par contre, les conséquences à long terme de ces modifications ne pourront être évaluées qu’après les relevés ultérieurs.

Traduction : Stéphanie Rüling-Moreau