En raison de la baisse de leurs rendements, les exploitations forestières doivent réduire les coûts des soins culturaux et envisager de nouveaux procédés de restauration sylvicole. La rationalisation biologique permet justement d’exploiter un potentiel considérable et présente un gros avantage par rapport à d’autres formes de rationalisation, car elle ne limite aucunement l’imitation de la nature.

La rationalisation biologique consiste à favoriser au maximum l’évolution spontanée de la nature et à se contenter de ce qui pousse et s’entretient naturellement (automation biologique). Par ailleurs, si les soins apportés aux peuplements se limitent à obtenir des arbres dotés d’un potentiel de création de valeur, la rationalisation biologique permet de faire des économies à hauteur du décuple, voire plus, des coûts des soins actuels.

Néanmoins, la rationalisation biologique peut également entraîner la diminution du nombre d’essences et un amoindrissement de la diversité structurelle, comme le laissent entendre les recherches réalisées dans la forêt vierge. Les effets précis de la rationalisation biologique dépendent de l'autodifférenciation sociale des peuplements et de la capacité de cette dernière à faire disparaître certaines essences dans les peuplements mixtes.

L’observation de l’évolution d’un rajeunissement naturel mixte, dans la petite trouée d’une station eutrophe de hêtres, à altitude moyenne (placette d’échantillonnage d’Unteraffoltern am Albis), devrait permettre d’en savoir plus.

Concurrence entre les essences et propension au démélange

Pendant l’hiver 1985/86, un rajeunissement par zones a été effectué, avec une légère éclaircie préalable, dans un ancien taillis sous futaie adulte composé de chênes, de frênes, d’érables, de charmes, d’autres feuillus isolés, ainsi que de quelques épicéas et sapins. Pendant l’hiver 1987, les arbres déjà ensemencés ont été dégagés dans deux trouées de coupe plus ou moins contiguës d’une surface totale de 0,09 ha, conformément à la régénération suisse en coupe progressive par groupes et bouquets.

À l’origine, la zone comprenait 20 essences différentes. Certaines d’entre elles, notamment le hêtre, le frêne, l’érable sycomore, le charme et le cerisier, se sont implantées sur toute la surface, alors que le chêne, le tilleul, l’orme et les conifères (épicéa et sapin) étaient plus disséminés.

Au bout de six ans, les différences de taille entre les essences étaient déjà clairement visibles. À l’étage dominant, on trouve les essences compétitives ou à croissance rapide. Il s’agit principalement du frêne, dans les zones bien exposées à la lumière, et du hêtre dans les zones ombragées. Les essences peu concurrentielles, telles que le cerisier, le chêne et le tilleul, sont déjà fortement recouvertes et n’ont aucune chance de s’imposer. Le phénomène est encore plus net avec les conifères (épicéa et sapin), dont la phase d’ensemencement est trop longue, ce qui gêne leur développement. L’érable sycomore et le charme sont ici les arbres codominants.

Ainsi, on constate que les essences compétitives s’imposent rapidement et que les autres essences ont de moins en moins de chances de suivre le rythme au fur et à mesure que le temps passe. Après 8 à 10 ans, le démélange s’affirme clairement: seules deux essences, en l’occurrence le hêtre dans les zones ombragées et le frêne dans les zones lumineuses, prennent le pas sur toutes les autres.

Aussi ce phénomène influence-t-il la diversité des essences. En effet, si on souhaite planter des essences moins concurrentielles, il est nécessaire d’effectuer de manière très précoce une régulation du mélange et de la densité.

L’éviction de l’érable sycomore

La littérature a déjà évoqué plusieurs fois le phénomène d’«envahissement du frêne», entraînant sa domination dans les stations bien approvisionnées en eau et suffisamment riches en nutriments. Ce terme désigne la domination spontanée du frêne dans les stations naturelles pouvant accueillir des hêtres. Apparemment, le frêne dépend principalement de la quantité de lumière qu’il reçoit au début de son stade jeune et donc de la technique de rajeunissement. Des rajeunissements réalisés rapidement, avec une luminosité généreuse, avantagent le frêne, qui a besoin de lumière. Si on souhaite rajeunir des hêtres, il convient d’adopter une protection appropriée. Ce principe s’applique au moins pendant la première phase du rajeunissement. On peut alors utiliser une coupe de protection classique ou de petites trouées.

Les connaissances actuelles permettent d’établir de grandes similitudes entre le frêne et l’érable sycomore, en termes de croissance et de soins. De ce fait, le remplacement significatif de l’érable sycomore est vraiment inattendu, que ce soit à l’étage dominant ou dans les zones de l’aire d’essai recevant une luminosité intermédiaire. Dans cette station, riche en bases et présentant des conditions très propices à la croissance des arbres, les érables sycomores sont frappés d’une extinction quasi généralisée, alors que leur proportion dépasse au départ les 40%. Au bout de 15 ans, on en trouve uniquement sur trois des 65 parcelles et leur taille est sensiblement plus basse.

Les relevés de l’indice de fertilité des principales associations forestières ont permis de confirmer l’avantage de la taille du frêne sur l’érable sycomore dans les stations propices à la croissance situées dans le Plateau suisse (Mittelland). L’avance du frêne est en principe visible dans les stations qui lui conviennent, avec une saturation en bases et un approvisionnement en eau satisfaisants. L’érable sycomore peut profiter des périodes de sécheresse pour s’imposer, au moins lorsqu’il est jeune. En outre, il est probable que l’altitude joue un rôle.

La restauration sylvicole: conclusions

Les résultats de la placette d’échantillonnage d’Unteraffoltern prouvent indubitablement le démélange au profit du hêtre et du frêne. En matière de répartition des essences de nos forêts, la transition vers les concepts de soins de la rationalisation biologique va renforcer la domination croissante du frêne et du hêtre, phénomène que les résultats de l’Inventaire Forestier National permettent déjà de constater. Ce sont principalement la technique et le rythme de rajeunissement qui influent sur la présence de ces deux essences.

Ces résultats confirment également les informations issues des recherches menées dans la forêt vierge, selon lesquelles le climax de nos relations avec la forêt entraîne l’apparition de boisements avec un faible nombre d’essences et une structure peu variée (forêts cathédrales). La rationalisation biologique favorise donc le développement de boisements entièrement naturels. Cependant, en matière de diversité et de structure des essences, ces derniers sont, pour des raisons esthétiques, beaucoup plus banals que ce à quoi on pourrait s’attendre.

Le démélange naturel et le remplacement des essences moins concurrentielles se manifestent très tôt (au bout de 8 à 10 ans), lorsque le coût des soins culturaux est très élevé. Pour favoriser la diversité des essences et, plus spécifiquement, obtenir des peuplements mixtes, il est nécessaire d’appliquer des mesures de restauration sylvicole très coûteuses.

Traduction : Frédéric Magnant, Carpe Sensum