Le projet pilote indique les premières aires concrètes de conservation génétique et offre un mécanisme pour les mettre en place et les évaluer avec l’aide des cantons. Cette contribution donne une vue d’ensemble des résultats obtenus et des actions ultérieures.

La variété des essences forestières et leur diversité génétique constituent les ressources génétiques forestières. Indispensables dans les écosystèmes forestiers, elles forment la base de la biodiversité forestière et sont garantes de la capacité d’adaptation de nos forêts et donc du maintien à long terme de leurs prestations. Face aux changements climatiques, cette capacité d’adaptation et cette diversité génétique présentent un intérêt particulier.

La responsabilité particulière de la Suisse

La Suisse est importante au sein de l’Europe pour la conservation de ressources génétiques forestières. En effet, de nombreuses essences boréales de résineux sont présentes de manière endémique dans l’arc alpin. En outre, les combinaisons spécifiques de facteurs stationnels et l’isolation géographique découlant de la topographie des vallées favorisent une différentiation écologique, et donc génétique.

L’ancien groupe de travail suisse sur les réserves génétiques a lancé l’idée de délimiter des aires de conservation pour les ressources génétiques forestières en Suisse dès les années 1980. Cependant, la protection conservatrice, c’est-à-dire statique, des ressources génétiques dans des réserves telle que ce groupe l’avait envisagée s’est montrée inappropriée. La sécurisation contractuelle et les limitations pour les exploitants forestiers n’étaient que difficilement réalisables. Par ailleurs, les observations de flux génétiques sur de longues distances (transport de pollen et de graines) ont remis progressivement en question les objectifs. Avec le projet « Aires de conservation génétique Suisse » (en allemand) de l’ETH Zurich et de l’Office fédéral de l’environnement (OFEV), l’objectif est désormais une conservation paneuropéenne in situ, coordonnée et dynamique dans les aires de conservation génétique.

Conservation génétique dynamique

La première pierre pour une conservation génétique dynamique a été posée ces dernières années par le Programme Européen sur les Ressources Génétiques Forestières (EUFORGEN) Son instrument central est la banque de données européenne EUFGIS, sur laquelle s’appuie la stratégie de conservation in situ dans des aires de conservation génétique ainsi que de suivi génétique. Les aires de conservation doivent englober la diversité génétique des sous-populations essentielles d’une essence donnée. Dans ces aires, les processus naturels de reproduction, d’adaptation et de migration se déroulent librement, et sont soumis à un suivi. La détection précoce des modifications démographiques et génétiques permet une sécurisation à long terme et améliore la compréhension des processus complexes dans les sous-populations ainsi que dans les métapopulations comprenant toutes les sous-populations de nos essences forestières.

Le contexte juridique est donné au niveau national par la législation sur les forêts. La Stratégie Biodiversité Suisserenforce l’importance générale de la conservation de la biodiversité et des ressources génétiques. L’Aide à l’exécution pour la conservation de la diversité biologique dans la forêt suisse précise la délimitation des aires de conservation génétique. Un concept national« Ressources génétiques forestières et changements climatiques » est en cours de développement. Cet engagement correspond aux obligations internationales de la Suisse. L’orientation générale de la conservation génétique et de la collaboration paneuropéenne est déterminée par la Conférence des ministres sur la protection des forêts en Europe, et elle s’est encore concrétisée dans la dernière résolution.

Projet pilote « Aires de conservation génétique Suisse » (2013-2015)

En Suisse, 45 essences sont considérées comme autochtones, et 7 d’entre elles ont été choisies pour un projet pilote. Ce choix découle principalement de l’importance pour la Suisse (par exemple essences principales) et des principes paneuropéens (essences modèles EUFORGEN). Les populations des essences principales sont relativement bien connues grâce aux données de l’Inventaire forestier national (IFN). Malheureusement, c’est moins vrai pour les essences accessoires, et des inventaires complémentaires sont nécessaires. Parmi les essences choisies, il existe parfois des données génétiques qui, combinées avec des analyses paléoécologiques classiques (pollen, macrorestes) donnent des indications sur la structure génétique et les chemins migratoires des sous-populations.

La banque nationale de données sur les réserves forestières fournit les informations concernant le périmètre des aires de conservation génétique. Le principe de base est que les aires de conservation génétique ne constituent pas de nouvelles unités, et ne découpent pas les réserves forestières en parcelles, mais correspondent à une ou plusieurs réserves forestières adjacentes ou au minimum peu éloignées les unes des autres. Les réserves forestières peuvent ainsi obtenir le label « aire de conservation génétique » pour une ou plusieurs essences. Le type de réserve forestière prend de l’importance suivant la prédominance de l’essence (classe de protection forestière Forest-Europe). Pour les essences principales dominantes, des réserves forestières naturelles peuvent être adaptées si elles sont assez étendues. Dans l’idéal, elles doivent comprendre plusieurs centaines d’hectares. Ainsi, on obtient une plus grande variété de stations et souvent également un gradient d’altitude plus important (effet tampon). Cela permet également de rencontrer plus souvent des répartitions favorables de classes d’âge, et également des surfaces de rajeunissement. Pour les essences accessoires peu concurrentielles, ainsi que les populations périphériques des essences principales, des réserves forestières spéciales ou des réserves forestières complexes sont judicieuses, afin que des mesures d’accompagnement soient possibles si besoin est.

Aires de conservation génétique prioritaires

Pour évaluer si des réserves forestières sont adéquates en tant qu’aires de conservation génétique, il a fallu compiler les données disponibles au niveau national et des évaluations d’experts pour les essences cibles dans les périmètres des réserves forestières. Sept indicateurs en ont été déduits sur l’adéquation et le classement des réserves forestières, ce qui permet d’identifier les aires de conservation génétique prioritaires. Parmi les 88 sous-populations des 7 essences pilotes dont il faut tenir compte au niveau national, 60 sont bien représentées par des réserves forestières déjà existantes. En regard de la large palette d’essences, y compris les essences accessoires rares, la couverture de 68 % est considérable. Cinq des lacunes existantes concernent l’essence cible Populus nigra et se trouvent dans des zones alluviales d’importance nationale non déclarées comme réserves forestières. Ces lacunes et 10 autres ont été couvertes par des réserves forestières complémentaires, mais pour 13 lacunes (14 %), cette solution est pratiquement impossible. Cela concerne des sous-populations d’essences accessoires rares, souvent mélangées de manière isolée (p. ex. Sorbus torminalis) ainsi que des sous-populations d’essences reliques intra-alpines d’essences principales (p. ex. Abies alba). Elles ne peuvent être appréhendées que dans des surfaces de plusieurs milliers d’hectares. Pour cette raison, il est proposé de compléter par un mode comportant des surfaces étendues, avec une sécurisation à grande échelle mais toutefois réduite, au niveau de la planification forestière régionale.

L’évaluation et la mise en place d’aires de conservation génétique dans les réserves forestières existantes s’effectuent en collaboration étroite avec les cantons, et comprend le processus allant de la préparation de la base de données jusqu’à la sécurisation de ces aires en les saisissant dans le cadastre national correspondant. Cette procédure a fait ses preuves et continuera à être utilisée pour l’évaluation et la mise en place d’aires de conservation génétique. Le projet « Aires de conservation génétique Suisse » conseille les cantons pour la mise en place. Si nécessaire, il développe des standards nationaux pour cette mise en place en collaboration avec les cantons, en se basant sur les aires de conservation génétique concrètes du projet pilote.

Prolongation du projet avec d’autres essences (2016-2019)

L’établissement d’aires de conservation génétique pour les 7 essences pilotes continue dans le projet consécutif, et 7 autres essences sont ajoutées (voir tableau 1). Ainsi, nos essences principales les plus importantes et simultanément une grande partie des essences modèles EUFORGEN peuvent être traitées.

Grâce à cette approche pragmatique, des résultats ont pu être obtenus rapidement pour l’établissement de priorités et la sécurisation d’aires de conservation génétique, et les premières propositions de solutions ont été données pour quelques questions méthodiques de mise en œuvre. Ces aspects doivent être encore clarifiés dans la suite du projet sur la base d’exemples concrets d’aires de conservation génétique sécurisées et de leurs exigences. Les cantons et la commission technique du projet seront impliqués. Les standards correspondants seront pris en compte dans la prochaine aide à l’exécution de l’OFEV pour la biodiversité forestière.

  • Sécurisation juridique de l’objectif complémentaire Conservation génétique dans les réserves forestières : gestion flexible suivant la formulation existante d’objectifs au niveau du contrat, de l’ordonnance de protection ou de la planification d’entretien.
  • Mode spécifique pour une faible densité de répartition de l’essence cible : sécurisation de zones étendues au niveau de la planification forestière régionale.
  • Mise en œuvre de mesures : une plate-forme pour la collecte et l’échange d’expériences sur les mesures incitatives devra être envisagée.

Dans les régions de conservation génétique dynamique, on mise sur l’autoconservation des essences. Les interactions entre les modifications environnementales, la migration (au sein d’une région, par exemple par progression vers des altitudes supérieures) ainsi que l’adaptation au niveau de l’individu et de la population est très complexe. Il faut y ajouter les interactions écologiques comme la concurrence, l’abroutissement, les organismes nuisibles, etc., qui à leur tour peuvent être influencées par les modifications de l’environnement. Aujourd’hui, il n’est possible d’obtenir des informations fiables sur les réactions des essences et de leurs populations aux évolutions climatiques qu’avec des observations systématiques à long terme, et des expérimentations de grande ampleur.

Pour accompagner les stratégies paneuropéennes, un suivi adéquat doit livrer des informations représentatives sur les évolutions effectives des essences cibles. Le rajeunissement est inclus dans cette démarche. Des relevés tests dans quatre aires de conservation génétique potentielles sélectionnées, avec différentes densités de peuplement des essences cibles, ont fourni des indications précieuses sur la configuration des échantillons en relation avec la densité de population. Le projet consécutif prévoit une comparaison avec d’autres relevés à long terme en tenant compte de nouvelles possibilités techniques, pour mettre en place un système de suivi pour les aires de conservation génétique. Dans les aires de conservation génétique sécurisées, les premiers relevés vont être effectués. Le système de suivi et les données démographiques forment la base des études génétiques paneuropéennes. L’étude de la diversité et des flux génétiques ainsi que des modifications génétiques par rapport à d’autres sous-populations dans toute la zone de répartition est essentielle pour la compréhension des impacts des changements environnementaux sur la biologie des populations.

Une orientation judicieuse du projet

La conservation dynamique de ressources génétiques forestières dans des aires de conservation génétique et le suivi des populations cibles constituent une combinaison pertinente et améliorent notre compréhension de la capacité de réaction des essences aux changements climatiques. L’approche pragmatique pour la mise en place d’aires de conservation génétique centrée sur les prestations de conservation génétique par les réserves forestières existantes est pertinente et économique. La procédure itérative, avec établissement d’aires de conservation génétique en collaboration avec les cantons suivi d’une réponse aux questions ouvertes sur la mise en place et le suivi, permet d’avancer rapidement. Le projet « Aires de conservation génétique Suisse » contribue largement à la sécurisation des ressources génétiques forestières et donc à la conservation de la diversité forestière en Suisse.