Après l’ouragan "Vivian" de février 1990, la Confédération, les cantons et les communes ont installé des placettes d’échantillonnage à Disentis, Pfäfers et Schwanden. Chaque surface présentait trois variantes. Une surface évacuée près de Zweisimmen a également été intégrée au projet. Dans la variante laissée en état, aucune intervention n’a eu lieu et tout le bois est resté sur place. Par contre, dans la variante évacuée, les exploitants forestiers ont retiré les troncs. Enfin, dans la variante plantée, la surface a bénéficié à la fois d’une évacuation des troncs et d’une plantation. Depuis, le WSL étudie l’évolution de la faune et de la flore sur ces surfaces. C’est en 2005, c’est-à-dire 15 ans après la tempête, que l’institut a relevé l’état du reboisement pour la dernière fois.

Méthodes de relèvement

Pour chaque variante, il existe un réseau de 25 cercles d’échantillonnage de 50 m2 espacés de 20 m. Tous les arbrisseaux dont la hauteur dépassait 20 cm ont été relevés. Les années de relèvement figurent dans les graphiques.

Une augmentation lente et constante de la densité de rajeunissement

Lors du premier relèvement effectué en 1992, deux ans après la tempête, le rajeunissement naturel était encore pratiquement absent. En effet, avant la tempête, la régénération des peuplements était timide (figure 2). Pour toutes les placettes d’échantillonnage et dans toutes les variantes, les chiffres du rajeunissement étaient inférieurs à 500 arbrisseaux par hectare. La régénération naturelle s’est donc surtout produite après la tempête (régénération post-tempête).

En 2005, 15 ans après la tempête, la plupart des variantes disposaient toujours d’un rajeunissement modeste. La surface de Disentis était la plus dénudée avec environ 1000 arbres/ha, suivie de Schwanden (figure 3) avec 2000 arbres environ, de Zweisimmen avec environ 3700 arbres et de Pfäfers avec au moins 4000. En général, la densité de rajeunissement la plus faible s’observait dans les variantes laissées en état. Au cours des 15 premières années qui ont suivi la tempête, le nombre de plantes a progressé régulièrement et de façon assez linéaire, mais à un rythme très varié selon les différentes surfaces et variantes. Ainsi, aucune croissance spectaculaire et aucune stagnation n’a pu être observée nulle part.

Aucune explication simple ne permet de justifier les différences de densité de rajeunissement entre les différentes surfaces et variantes. Les chiffres relativement faibles relevés dans toutes les variantes de Disentis sont probablement dus au fait que la placette d’échantillonnage se trouve au milieu d’une très large surface de chablis de 100 ha sur laquelle aucun arbre mûr n’a survécu (figure 1). Par conséquent, les semenciers les plus proches sont à bonne distance et la colonisation du sol par les semis est limitée. C’est la variante évacuée de Pfäfers, où la densité de rajeunissement est la plus forte, qui illustre le mieux l’importance capitale de la proximité des semenciers : sur cette petite surface, les arbres situés en lisière de forêt et les érables de montagne survivants ont fourni de nombreuses graines.

Une grande variété d’essences

Depuis 1992, les proportions des essences ont évolué dans le rajeunissement (figure 2). Les épicéas et les sorbiers des oiseleurs étaient bien représentés, tant lors du modeste rajeunissement initial qu’en 2005. Dans plusieurs variantes, l’érable sycomore s’est installé en grand nombre. Au bout de 15 ans, le rajeunissement naturel était constitué de plus de dix essences. A Disentis et Zweisimmen, il se composait avant tout d’épicéas et de sorbiers des oiseleurs, à Pfäfers d’épicéas et d’érables sycomores et à Schwanden d’épicéas et de plusieurs essences de feuillus. Le sapin n’était présent qu’à Pfäfers, et seulement en quantité limitée.

Les chiffres du recrutement ont évolué différemment selon les essences. Le nombre d’épicéas a augmenté plus rapidement au cours des dernières années qu’au début. Pour les sorbiers des oiseleurs et les saules, on a observé le phénomène inverse: après un ensemencement abondant au début, les courbes ont eu tendance à s’aplanir au cours des dernières années. Cela correspond à leur vocation d’essences pionnières, qui exploitent les avantages des premières heures et colonisent surtout les sols pauvres en végétation. Comme l’a montré une étude, les épicéas et les sorbiers des oiseleurs se sont implantés sans tenir compte de la régénération préexistante, y compris dans les lieux où elle était absente ou modeste.

Comparaison entre le rajeunissement naturel et la plantation

Avant l’été 1993, les exploitations forestières ont effectué des plantations dans les variantes concernées : 1800 arbrisseaux/ha à Disentis, environ 2600 à Pfäfers et environ 2200 à Schwanden selon les méthodes en usage sur place (figure 2). Jusqu’en 2005, environ 20% de ces arbres ont disparu. Sur toutes les placettes d’échantillonnage, il a fallu environ dix ans pour que le nombre d’arbres issus du rajeunissement naturel soit égal à celui des arbres plantés. Ainsi, les variantes dotées de plantations disposaient à ce moment-là de deux fois plus de jeunes arbres que les autres (figure 2). Au bout de 15 ans, le nombre d’arbres issus du rajeunissement naturel était partout nettement supérieur à celui des arbres plantés.

Compte tenu de l’altitude, les plantations ont privilégié les résineux. Ce choix avait également pour but de rétablir rapidement la fonction protectrice puisque les résineux sont réputés plus efficaces. En moyenne, pour les trois surfaces, la proportion de résineux dans les plantations était nettement supérieure (65%) à celle du rajeunissement naturel, qui n’en comptait que 35% au bout de 15 ans. Dans le rajeunissement naturel, c’est l’épicéa qui avait la vedette devant l’érable sycomore, le sorbier des oiseleurs et les variétés de saules. Par contre, dans les plantations, l’épicéa était le plus représenté devant le sapin, l’érable sycomore et le hêtre (figure 2).

Formes d’abroutissement

Les formes de croissance des jeunes arbres révèlent ce qui leur est arrivé au fil des ans et comment ils y ont réagi. Les bouleaux, les épicéas et les sapins avaient le plus souvent connu une croissance normale. Ce sont les aunes blancs, les saules et les sorbiers des oiseleurs qui avaient le plus souvent plusieurs troncs, tandis que les frênes et les érables sycomores présentaient le plus de mutilations. Ces malformations sont certainement à interpréter avant tout comme la conséquence d’un abroutissement important et répété. A titre d’exemple, à Schwanden, 47% des sapins ont été tellement dévorés qu’ils en sont morts.

Mais les relèvements irréguliers des rajeunissements n’ont pas permis d’analyse plus approfondie de l’influence de la faune sauvage sur le reboisement. Pour cela, il aurait fallu disposer au moins de relevés annuels. De plus, sur deux placettes d’échantillonnage, certains arbres ont été partiellement ou temporairement protégés de l’abroutissement par des grillages, des clôtures ou d’autres méthodes.

Un rajeunissement timide en altitude

Par rapport à d’autres surfaces de chablis laissées en état après le passage de Lothar et situées à plus basse altitude, tant dans l’Oural qu’en Suisse, nos placettes d’échantillonnage "Vivian" situées en altitude ont affiché de mauvais résultats en termes de reboisement naturel. Dans bon nombre d’autres surfaces de chablis, au bout de trois ans, le rajeunissement était plusieurs fois plus riche en troncs, parfois jusqu’à dix fois plus dense. Plusieurs raisons entrent en ligne de compte. D’une part, les surfaces "Vivian" ne comptaient pratiquement pas de régénération préexistante car les peuplements étaient particulièrement denses et sombres avant la tempête. D’autre part, le reboisement naturel issu d’une régénération post-tempête dure bien plus longtemps en haute altitude qu’en basse.

L’ensemencement joue lui aussi un rôle essentiel. Les petites surfaces se reboisent plus rapidement car les graines des arbres de lisière situés à proximité peuvent se glisser en grand nombre dans les moindres recoins. De même, lorsque des semenciers survivants sont encore debout sur la surface, ils répartissent rapidement leurs graines. La compétition de la végétation entre également en ligne de compte: lorsqu’elle est forte, elle ne facilite pas le rajeunissement.

Les plantations prennent de l’avance

Quinze an après "Vivian", les tailles des jeunes arbres étaient très différentes, non seulement d’une essence à l’autre mais également au sein d’une même essence (figure 4). Avec une hauteur moyenne de 4 à 6 m, les bouleaux étaient de loin les plus grands tandis que les sapins étaient les plus petits avec environ 50 cm de hauteur. Les arbres plantés étaient presque tous plus grands que ceux du rajeunissement naturel. L’avance la plus spectaculaire était celle des épicéas, des hêtres et des bouleaux plantés. C’est un élément important en forêt de protection, car les arbres de petite taille n’offrent pas de rempart fiable contre les départs d’avalanches et les chutes de pierre.

Rétablir la fonction protectrice

Une régénération préexistante abondante et bien avancée constitue dès le départ une certaine protection contre les dangers naturels, ce qui offre un rempart suffisant plusieurs dizaines d’années avant le rajeunissement exclusivement post-tempête. A un moment donné, par exemple au bout de 30 ans, la jeune forêt qui dispose d’une régénération préexistante abondante peut à nouveau offrir une protection suffisante. Par contre, l’efficacité de la régénération post-tempête et des plantations augmente progressivement. Les plantations permettent d’obtenir plus tôt le même effet protecteur. Sur les placettes d’échantillonnage "Vivian", où le reboisement s’est développé essentiellement à partir du rajeunissement post-tempête, les plantations avaient environ dix ans d’avance sur le rajeunissement naturel en termes de nombre et de hauteur d’arbres (figures 2 et 4). Bien entendu, une surface de chablis peut se reboiser beaucoup plus vite ou beaucoup plus lentement, en fonction de la situation concrète.

Résultat 15 ans après "Vivian"

  • Les surfaces de chablis situées en montagne se reboisent beaucoup plus lentement que celles situées à basse altitude. Il faut beaucoup de temps pour que la jeune forêt puisse à nouveau offrir une protection à l’aide du seul rajeunissement naturel post-tempête.
  • Une régénération préexistante abondante accélère fortement le reboisement. Par conséquent, il faut la préserver le mieux possible lors de l’évacuation des troncs. Une forêt de montagne idéalement structurée présente ici et là de petites trouées bien éclairées, dans lesquelles une régénération préexistante se prépare en permanence.
  • Les plantations accélèrent également le reboisement en altitude d’environ dix ans.
  • La régénération préexistante et les plantations permettent de gagner un temps précieux en forêt de protection, lorsque la jeune forêt doit remplir son rôle protecteur, et avant que cet effet ne diminue en raison du pourrissement du bois.

Traduction : Stéphanie Rüling-Moreau