Le hêtre: une essence de la forêt de protection des objets

L’implantation naturelle du hêtre est concentrée aux étages submontagnard et montagnard moyen, ce qui fait de lui une essence importante pour les forêts de protection des objets. Mais comment évaluer son effet face aux différents dangers naturels?

Pour les forêts de protection des objets, les points géomorphologiques stratégiques sont au nombre de trois:

  • Flancs glaciaires très raides des vallées alpines: en raison des quantités de neige, de la surpente glaciaire et des mouvements dus à la décharge postglaciaire, les avalanches et Talzuschub (tassements et rétrécissements de vallées suite à la poussée des versants) sont importants. Le Talzuschub se manifeste par des chutes de pierre et des glissements de terrain.
  • Moraines de fond et moraines latérales tassées au pied des versants: il s’agit des zones de transit et d’écoulement des avalanches et des chutes de pierres. En raison d’un sous-sol profond plus dense, ces zones sont sujettes aux glissements de terrain.
  • Zones de flysch des régions périalpines et des Préalpes: les roches tendres et semi-solides peuvent provoquer des glissements, même lorsque les pentes sont faibles (environ 20-25°). Les talus plus petits et plus escarpés des terrasses inférieures sont déjà sujets aux glissements.

Ces zones de danger se situent avant tout aux étages submontagnards et montagnards. Les hêtraies naturelles ainsi que les forêts mélangées comprenant des hêtres (Fagus sylvatica) poussent avant tout dans les Alpes internes et externes, sur des substrats basiques. Dans ces habitats, le hêtre est-il capable d’offrir une protection contre les avalanches, les chutes de pierre et les glissements de terrain? Quelle doit être la proportion des résineux persistants? Afin d’apporter une réponse, il convient d’examiner séparément les processus des différents dangers.

Le hêtre peut favoriser les départs d’avalanches

A l’étage montagnard, le risque de départ d’avalanche est présent à partir d’une altitude d’environ 600-900 m (avec un manteau neigeux d’une épaisseur minimale de 0,5 m) et d’une pente de 28°.

Toutefois, les ruptures peuvent également se produire aux étages inférieurs et sur des pentes plus douces. La plupart du temps, il s’agit de glissements de talus qui ne causent de dégâts significatifs qu’en cas d’enchaînement de circonstances particulièrement défavorables. Les avalanches plus grosses sont rares. Les feuillus, et surtout les hêtres, sont inadaptés à la protection contre les avalanches pour deux raisons:

  • Les arbres à feuilles caduques interceptent moins bien la neige et leur influence sur la modification du manteau neigeux est moindre. Contrairement aux peuplements de résineux persistants, le volume de neige stockée au sol est plus important. Par conséquent, l’homogénéisation du manteau neigeux, et l’effet protecteur que cela entraîne, sont réduits.
  • La chute des feuilles du hêtre dépose sur le sol une couche glissante qui favorise les avalanches de fond, notamment lors des périodes de fonte neigeuse, lorsque le sol est trempé.

Incorporer des résineux?

Le hêtre n’offre-t-il aucune protection, et faut-il augmenter fortement la proportion de résineux aux étages submontagnards et montagnards inférieurs? La réponse dépend beaucoup de la station, de la hauteur et de la densité des peuplements, ainsi que de la régularité du boisement. Lorsque le nombre de tiges est très important et qu’il n’y a pas de trouées, les ruptures sont peu probables.

Mais les hêtres doivent également être suffisamment hauts et robustes pour ne pas être écrasés par le manteau neigeux. Aujourd’hui, selon l’hypothèse communément admise, les arbres doivent être deux fois plus hauts que le manteau neigeux prévu pour assurer une protection contre les avalanches Quant au nombre de tiges nécessaires, il existe plusieurs données, en partie contradictoires, tirées des observations et des modélisations. Ce nombre augmente avec l’inclinaison de la pente, la hauteur du manteau neigeux et la diminution du diamètre des arbres. De plus, la rugosité de la surface joue un rôle considérable. Sur les sols lisses, les peuplements de hêtres doivent être particulièrement denses et réguliers pour éviter une rupture.

Etant donné qu’il est très rare de pouvoir obtenir et conserver des densités importantes et un boisement régulier, il est judicieux d’intégrer des résineux persistants dans le peuplement, tels que l’épicéa, le sapin et le pin, même à l’étage submontagnard et montagnard inférieur. Pour une répartition à peu près régulière, la valeur limite critique du recouvrement persistant se situe autour de 35%. Aux étages submontagnards à montagnards inférieurs, la proportion appropriée de résineux persistants est d’environ 35%. Si le degré de recouvrement total reste au-dessus de 80%, si le nombre de tiges de gros bois ne tombe pas sous les 400 pièces/ha et s’il n’y a pas de grandes trouées, aucune rupture dangereuse n’est à prévoir. En revanche, aux étages montagnards moyens et supérieurs, le recouvrement en espèces persistantes dans une forêt mélangée de hêtres doit être compris entre 35% et 65%.

Peuplements de hêtres dans la zone d’écoulement de l’avalanche

Une fois lancée, une avalanche ne peut plus être retenue par la forêt. L’effet protecteur n’intervient que sur les toutes petites coulées de neige. En cas de grosses avalanches, les hêtraies sont détruites. Cependant, dans les parties inférieures de transit et d’écoulement de la zone d’avalanche, les jeunes peuplements riches en feuillus présentent un avantage. En effet ils sont plus souvent brisés que déracinés, et comme les feuillus sont capables de produire des rejets, ils génèrent des boisements regroupés en bouquets qui protègent le sol de l’érosion. Même les jeunes hêtres peuvent produire des rejets. Cette essence engendre des drageons racinaires, des rejets de souche et des empattements. En fonction de la fréquence des grosses avalanches, les peuplements se développent sous plusieurs formes (du regroupement en bouquets au taillis-sous-futaie), qui favorisent également la protection contre les chutes de pierres. Par conséquent, il n’est pas nécessaire d’accroître la proportion de résineux dans les zones de transit et d’écoulement. Les «hêtres rampants» de la zone de transit supportent même les avalanches fréquentes.

L’essence idéale pour la protection contre les chutes de pierres

Dans son milieu naturel, le hêtre est une essence idéale pour la protection contre les chutes de pierres. Si le potentiel de guérison et d’occlusion de l’érable sycomore est probablement supérieur à celui du hêtre, ce dernier est cependant capable d’absorber une énergie de collision ou de résilience à la flexion une fois et demi supérieure à celle de l’érable sycomore, et presque deux fois supérieure à celle de l’épicéa et du mélèze. Compte tenu de sa forme de croissance, en cas de charge dynamique, le hêtre a moins tendance à voir ses cimes se briser sous l’impact des chutes de pierres. De plus, il s’ancre bien dans le sol, sauf dans les stations à humidité résiduelle ou très plates.

Jusqu’à présent, le mélèze et l’érable sycomore étaient considérés comme les essences idéales pour les forêts de protection contre les chutes de pierres de l’étage montagnard. Mais de nouveaux résultats de recherches ont bouleversé la donne, car la dynamique et le potentiel de croissance des espèces doivent également être pris en compte. L’érable sycomore est adapté aux éboulis agités et aux forêts de ravins de l’étage montagnard, qui ne sont généralement pas des forêts de protection des objets. Le potentiel de croissance de cette essence, surtout lorsqu’elle est jeune, est supérieur à celui du hêtre. Par la suite, la croissance de son diamètre et de sa hauteur ralentit par rapport au hêtre.

C’est pourquoi les forêts de hêtres comptant également des érables sycomores et des ormes de montagne sont bien adaptées à la protection contre les chutes de pierres. Le peuplement, et surtout le recrû/fourré, doit également abriter des résineux (sapins, épicéas, pins), qui atteignent plus rapidement des diamètres et des hauteurs efficaces (plus importantes). Là aussi, à l’étage submontagnard et montagnard inférieur, une proportion d’environ 35% suffit dans la plupart des cas. C’est seulement sur les terrains plus raides et aux étages montagnards moyens à supérieurs que les proportions de résineux doivent dépasser les 35%, en raison des hauteurs plus élevées de sauts de pierres et du potentiel de croissance du hêtre. Par contre, le mélèze et le pin sont les essences de protection contre les chutes de pierres des stations d’altitude et des régions où les hêtres ne poussent pas.

Le hêtre peut stabiliser les stations fraîches et empêcher les glissements de terrain

Le système racinaire traçant ou fasciculé du hêtre ne supporte pas l’humidité résiduelle. C’est pourquoi cette essence n’est pas adaptée aux stations trop humides et pseudogleyifiées qui sont sujettes aux glissements de terrains. Dans ces stations, c’est le sapin qui joue son rôle. Mais la plupart des zones de glissement (potentielles) ne sont pas engorgées sur toute la surface; il s’agit de stations fraîches ou à humidité saisonnière partielle. Le système racinaire du hêtre compte une proportion particulièrement élevée de radicelles, ce qui le rend apte à la stabilisation de ce type de stations. Là aussi, l’intégration au peuplement d’une part de résineux, notamment de sapins, renforce l’effet protecteur des hêtraies. Toutefois, sur les sols comportant des couches argilo-lumineuses, les peuplements de résineux purs, notamment ceux d’épicéas, sont moins performants que les peuplements mélangés comptant des hêtres. En effet, ils peuvent générer des couches compactes de retenue d’eau dans le sol. A l’instar des essences à racine pivotante comme le sapin et le chêne, le hêtre est capable d’utiliser l’eau des couches profondes. Ainsi, non seulement il supporte mieux la sécheresse de la couche supérieure du sol, mais il draine mieux les couches profondes que l’épicéa.

Traduction : Stéphanie Rüling-Moreau

Contact

Frank Perzl,
Institut für Naturgefahren und Waldgrenzregionen,
Bundesforschungs- und Ausbildungszentrum für Wald, Naturgefahren und Landschaft,
Hofburg, Rennweg 1, 6020 Innsbruck, Österreich