La tempête Vivian en février 1990 a renversé une grande partie de la forêt de montagne près de Pfäfers. Les autorités compétentes ont alors décidé de laisser les chablis à terre sur un des sites afin d'éviter un déficit de la fonction de protection à cet endroit. Par expérience, on sait que le bois mort au sol peut assurer pendant un certain temps la fonction de protection contre les avalanches et les chutes de pierres. Si l’on avait nettoyé cet endroit, il aurait alors été indispensable d’installer des ouvrages de défense provisoires à l’aide de râteliers en rondins.

La décision de laisser le bois au sol avait été prise après avoir estimé qu’un rajeunissement offrant un bon effet protecteur s’installerait dans les vingt à trente ans et qu’au pire des constructions ne seraient nécessaires que sur une partie de la surface. Une photo prise en 1996 (figure 1) montre le peuplement dans lequel tout le bois renversé avait été laissé sur place.
 

Au moment de la tempête en 1996, le peuplement est une futaie pure d’épicéas sans rajeunissement, sur une pessièresapinière à adénostyle (E+K 50) à environ 1500 m d’altitude. Un certain nombre d’arbres et de groupes d’arbres ont résisté à la tempête et même aux attaques de bostryches les années suivantes. Comme le rajeunissement manquait et que sa venue naturelle risquait de durer longtemps sur ce type de station, la surface a été reboisée entre 1991 et 1998 (figure 2). La plantation devant se faire dans les vides, il s’est agi par la force des choses d’une plantation par groupes. Aucun soin aux jeunes peuplements n’a été réalisé.

Développement de la jeune forêt

Les premières plantations de 1991 se sont très bien développées et ont réussi à dépasser la végétation au sol (surtout les adénostyles). Comme les plantations semblaient trop peu denses, elles ont été complétées entre 1993 et 1995. Mais les nouveaux plants ont fortement souffert de la concurrence des framboisiers qui s’étaient développés entre-temps. La croissance des jeunes arbres a été nettement gênée et l’on a aussi observé des déformations des pousses terminales, notamment parmi les épicéas. On n’a pas planté de sapins blancs au départ, car on craignait qu’ils soient détruits par l’abroutissement du gibier. On s’est résolu à en planter 525 pièces en 1998, espérant qu’ils supporteraient mieux la concurrence de la végétation au sol que les épicéas.

L’état des jeunes plantations a été analysé au printemps dans un travail de semestre (Schnider, 2007). Le procédé s’appuie sur la méthode utilisée pour le contrôle du rajeunissement sur les surfaces indicatrices (OFEV, 2010). Les arbres observés dans le cadre de cette étude sont pratiquement tous issus des plantations (figure 3). Sur cette parcelle, même quinze ans après la tempête, le rajeunissement naturel est encore très clairsemé. Nous manquons malheureusement de données sur le succès de la plantation, autrement dit sur le taux de survie. Les espèces feuillues ont presque partout dépassé la végétation basse dans les endroits où les framboisiers continuent de dominer. Un tiers de ces feuillus indiquent déjà un DHP de plus de 4 cm.

Dix ans après la plantation, 90% des sapins blancs mesurent moins de 70 cm. Même si l’on observe régulièrement des traces d’ongulés sur la parcelle, l’abroutissement est nettement inférieur au taux limite, aussi pour le sapin.

Les grandes variations de taille des épicéas sont dues aux dates de plantations différentes. Les premières plantations de 1991 ont très vite dépassé la végétation basse et 30% d’entre eux ont également un diamètre de plus de 4 cm. Mais un tiers des épicéas n’a pas atteint 1 m et lutte toujours pour échapper à la concurrence de la végétation au sol. Il s’agit presque uniquement des plantations de 1993 et 1995. Les épicéas les plus grands portent les traces des effets mécaniques dus à la neige. Mais plus de 80% des épicéas dont le DHP dépasse 4 cm sont droits et indiquent une courbure au bas du tronc de moins de 50 cm. La probabilité qu’ils deviennent des arbres stables est bonne.

La densité des plants calculée sur la base d’un échantillonnage est de 4600 arbres par hectare, dont 2286 épicéas, parmi lesquels environ 700 ont un DHP dépassant 4 cm. L’extrapolation faite à partir des échantillons doit cependant être considérée avec prudence, le nombre de tiges estimé étant probablement trop élevé.

A partir de quand l’effet protecteur de la jeune forêt est-il effectif?

L’état à partir duquel un jeune peuplement offre une protection suffisante contre le déclenchement d’avalanches n’est pas défini avec exactitude. Actuellement, lors des soins à la forêt protectrice (Gestion durable des forêts de protection – NaiS), un peuplement est considéré comme apte à remplir sa fonction protectrice à partir du perchis (DHP > 12 cm), si le taux de recouvrement dépasse 50% et si les vides ne dépassent pas une certaine longueur calculée en fonction de la déclivité. Cette définition est plutôt prudente en comparaison avec les données de la littérature. Dans notre cas, vingt ans après la tempête, les premiers groupes de jeunes arbres atteignent cette limite avec une hauteur dominante de 5 à 7 m et un DHP de 8 à 12 cm (figure 4). Le taux de recouvrement a été mesuré sur des photos aériennes de 2009. Il est de 40% pour le rajeunissement ayant dépassé la végétation au sol, surtout des framboisiers de 1 m de haut environ.

Entre les groupes de jeunes arbres, il existe toujours des vides d’une longueur critique, mais dans lesquels le bois mort assure une rugosité élevée. Contrairement à la dynamique positive du développement des jeunes peuplements, l’effet du bois mort au sol diminue avec le temps. Les troncs décomposés de part en part se cassent et ils n’exercent plus leur effet protecteur qu’à une hauteur réduite. Mais les arbres des peuplements épargnés par la tempête, puis attaqués par le bostryche dans les années 1990, ne sont tombés que successivement, si bien que le bois mort au sol a été régulièrement alimenté par du bois relativement bien conservé. Certains arbres secs sont toujours debout. Les mouvements du bois au sol et les chutes d’arbres secs provoquent des dégâts occasionnels aux arbres sur pied, mais ils ne menacent pas le rajeunissement.

Sur la surface observée, vingt ans après la tempête, l’effet de protection contre les avalanches est entré dans une phase de diminution continuelle, alors que le rajeunissement n’a développé ses effets protecteurs que ponctuellement (figure 5). Le bon état du rajeunissement et le fait que les chutes d’arbres secs réalimentent le sol en bois mort permettent de conclure que la phase critique de la protection minimale a déjà dû être dépassée (figure 6).

L’aspect le plus défavorable est actuellement la présence des trouées d’une certaine étendue où les plantations se sont mal développées en raison de la concurrence de la végétation au sol ou dans lesquelles le rajeunissement manque encore. Avec le recul, on peut considérer que cela a été une erreur de ne pas avoir planté de façon plus systématique et plus dense entre les bois au sol. Le nombre de groupes d’arbres capables d’exercer une fonction protectrice pourrait être plus élevé aujourd’hui. Si le manteau neigeux atteint des hauteurs extrêmes, des déclenchements d’avalanches dans les trouées entre les groupes d’arbres seront possibles et il sera encore nécessaire de fermer la route en dessous.

Cependant, les pronostics pour l’évolution future de la surface sont positifs. Le rythme de croissance en hauteur des jeunes arbres est maintenant très élevé, celle du sapin blanc aussi (photo en page de titre). Le nombre de groupes d’arbres exerçant leur fonction de protection ainsi que le taux de recouvrement augmentent très rapidement. Sur la base des observations actuelles, on peut oser prévoir que, dans une dizaine d’années, on ne devra plus s’attendre à des avalanches susceptibles d’endommager les peuplements.

Bilan et considérations

    • Le procédé décrit ici est utile par exemple dans le cas de routes que l’on peut fermer dans des situations critiques, mais il ne l’est pas s’il s’agit de protéger des zones construites habitées toute l’année..
    • Durant ces vingt dernières années, la qualité de la protection contre les avalanches est restée élevée, mais sans être parfaite. Il a fallu fermer la route située sous le périmètre durant l’hiver extrême de 1999.
    • Environ vingt ans après la tempête, les jeunes peuplements plantés atteignent peu à peu les diamètres nécessaires pour assurer la protection. Mais si la couche de neige devait devenir très épaisse, il faudrait toujours prévoir la fermeture de la route située endessous.
    • Même vingt ans après la tempête, le rajeunissement naturel est pratiquement inexistant. Si rien n’avait été planté, il faudrait aujourd’hui envisager construire des ouvrages de protection provisoires.
    • Si l’on avait reboisé les trouées plus systématiquement et de façon plus dense immédiatement après la tempête, l’effet protecteur serait probablement encore meilleur aujourd’hui.
    • Il faut compter environ dix ans pour que la protection s’exerce à nouveau sur toute la surface. Mais il ne sera probablement pas nécessaire de construire des ouvrages grâce à la protection combinée offerte par les troncs au sol et les plantations. Des dépenses considérables ont été évitées.
    • Il faut continuer d’observer la surface afin de confirmer les pronostics ci-dessus.

    Bibliographie

    • Office fédéral de l’environnement OFEV (Ed.) 2010: Forêt et gibier – Notions de base pratiques. Connaissance de l’environnement 1012-f. Berne.
    • Schwitter R. 2002: «Effets protecteurs des bois renversés contre les avalanches». LA FORÊT (12/2002).
    • Schnider, E. 2007: Sturmholz als Lawinenschutz (travail de semestre, non publié).