Les fourmis des bois vivent toutes en communautés dans des nids (fourmilières; fig. 1). Sur les six espèces différentes recensées en Suisse, cinq sont de véritables habitantes des forêts:

  • Formica rufa a des poils dressés sur le dos, sauf à l’extrémité arrière de la tête. Elle privilégie les structures périphériques des forêts de feuillus et de résineux des altitudes plutôt basses. La plupart de ses nids sont monogynes, c’est-à-dire avec une seule reine. Il existe toutefois aussi des populations polygynes, avec plusieurs reines. Les populations monogynes de F. rufa comprennent quelques centaines de milliers d’individus, les populations polygynes sont plus grandes.
  • Formica polyctena, à l’image de F. rufa, est également présente dans les forêts de feuillus et de résineux. Contrairement aux autres fourmis des bois, son dos ne comporte quasiment aucun poil. Parmi l’ensemble des fourmis des bois, cette espèce constitue les plus grandes populations et ses nids sont presque toujours polygynes. Un grand nid peut atteindre jusqu’à deux mètres de haut et comprendre plus d’un million d’ouvrières, ainsi que plusieurs milliers de reines. De nombreux nids secondaires sont souvent formés, donnant ainsi naissance à des colonies connectées au sein d’une même population.
  • Les deux fourmis des bois montagnardesFormica lugubrisetFormica paralugubris ne peuvent se distinguer avec certitude que sur le plan génétique. Les populations de ces deux espèces comprennent jusqu’à cent mille ouvrières et comptent le plus souvent plusieurs, voire une multitude de reines. La création de la colonie a le plus souvent lieu par la formation de fourmilières secondaires. Chez F. paralugubris peuvent se constituer d’immenses super-colonies totalisant plus de mille nids
  • Formica aquilonia se rencontre exclusivement dans les forêts de résineux d’Engadine en Suisse, où elle est l’espèce la plus fréquente. Elle possède des poils plus courts sur le dos que les deux autres fourmis des bois montagnardes. Cette espèce polygyne forme aussi des colonies regroupant plusieurs nids.
  • Formica pratensis édifie surtout ses nids dans les prairies, en lisière de forêt et sur les bords des chemins et des routes. Ses populations peuvent être monogynes ou polygynes.

Biologie

La biologie très similaire des différentes espèces de fourmis des bois a surtout été étudiée en détail pour F. rufa et F. polyctena: une fois les oeufs pondus par la reine dans le nid, les larves sortent au bout de deux semaines (fig. 2). Ces larves se développent pendant environ deux semaines en passant par quatre stades à l’intérieur du nid. Elles tissent ensuite un cocon de soie dans lequel elles se nymphosent. Deux semaines plus tard encore, les fourmis adultes émergent.

À l’image des abeilles, les fourmis des bois vivent en communautés rigoureusement organisées, et sont divisées en castes aux tâches clairement définies. Au coeur de chaque population se trouvent, selon l’espèce de fourmis, une à plusieurs milliers de reines (fig. 3).

Pendant leur développement larvaire, les futures reines sont nourries par une substance nutritive sécrétée par les glandes nourricières des ouvrières. L’accouplement au stade adulte a ensuite lieu dans le nid ou lors du vol nuptial, puis les futures reines s’arrachent les ailes et restent toute leur vie dans le nid. Les ouvrières les alimentent de nourriture riche en protéines et leur prodiguent des soins. La tâche principale de la reine est de pondre des oeufs – environ 30 par jour, et jusqu’à 300 chez les populations monogynes. Les oeufs fécondés donneront naissance à des fourmis femelles, les oeufs non fécondés à des fourmis mâles. Après l’accouplement, la reine stocke le sperme dans une poche spéciale qui lui permet de disposer d’une quantité suffisante de sperme tout au long de sa vie. Les reines peuvent vivre plus de 20 ans et pondre – en fonction de l’espèce – jusqu’à un million d’oeufs pendant leur existence

La deuxième caste femelle est constituée par les ouvrières (fig. 4). Elles possèdent le même bagage génétique que la reine, sont toutefois plus petites, toujours dépourvues d’ailes et ont le plus souvent des organes reproducteurs atrophiés. Pendant leur vie qui dure au maximum cinq ans, les ouvrières effectuent des tâches du «service interne» et du «service externe». Les jeunes ouvrières travaillent d’abord dans le service interne. Leur tâche principale consiste à prodiguer des soins aux oeufs, larves et nymphes. Elles recouvrent les oeufs de salive pour les garder humides, empêcher une infestation fongique et faciliter le transport des oeufs agglomérés. Elles préparent aussi les proies capturées en nourriture prémâchée qu’elles donnent aux larves. Elles déplacent régulièrement les larves et les nymphes dans le nid pour les installer dans les zones avec le meilleur climat. Les reines, qui ne quitteront en effet plus jamais le nid, sont aussi nourries par les jeunes ouvrières. Les ouvrières du service interne se chargent aussi de l’entretien et de la réparation du nid; elles en règlent la température, se débarrassent des cocons vides et défendent le nid face aux agresseurs.

Les ouvrières plus âgées passent ensuite dans le service externe où elles doivent avant tout se procurer de la nourriture. Elles chassent des insectes, récoltent le miellat – les déjections sucrées des pucerons – et transportent la nourriture jusqu’au nid. Elles fournissent aussi les matériaux pour la construction du nid et assurent le transport de ses habitants lorsqu’une partie de la population déménage dans un autre nid. La répartition entre service interne et service externe est toutefois flexible.

La troisième caste dans la communauté des fourmis est constituée par les mâles (fig. 5). Ils sont de taille similaire aux reines et sont également nourris par les sécrétions des glandes nourricières des ouvrières, sans lesquelles ils dépériraient. Pendant leur courte vie d’adultes, ils sont toujours ailés. La tâche unique qui incombe aux mâles est de féconder les jeunes reines; ils meurent peu après l’accouplement.

Alimentation

À peu près un tiers de la nourriture des fourmis des bois se compose d’insectes, contre deux tiers de miellat environ, auxquels s’ajoute un petit peu de nourriture végétale. Ces proportions varient fortement selon l’offre en proies. Les insectes dévorés – dont beaucoup de chenilles, mouches et insectes suceurs de sève – servent de source de protéines pour les larves, et sont aussi utiles aux reines pour la production des oeufs. Les fourmis des bois se nourrissent également de cadavres de grande taille.

Le miellat constitue la principale source d’énergie pour les ouvrières. Les pucerons (p. ex. les Lachnides) sont «traits» par les fourmis des bois: celles-ci tapotent l’abdomen des pucerons avec leurs antennes pour stimuler la production de miellat (fig. 6). En contrepartie, les fourmis des bois nettoient les pucerons, les débarrassant du miellat collant, et chassent leurs ennemis. Les besoins annuels d’un grand nid comptant un million de fourmis des bois s’élèvent à environ 30 kg d’insectes (soit 10 millions de proies environ) ainsi qu’à quelque 500 kg de miellat.

Ennemis et bénéficiaires

Malgré l’acide formique qui leur sert d’arme, les fourmis des bois ont de nombreux ennemis. Les plus importants sont – du moins chez les arthropodes – les fourmis elles-mêmes. Les populations de différentes espèces parmi les fourmis des bois, et même celles de la même espèce, ont des exigences quasi identiques. Cela signifie qu’elles occupent la même niche écologique, et qu’il règne de ce fait une concurrence pour l’accès aux territoires ou aux vastes colonies de pucerons productrices de miellat. De nombreux acariens, araignées, syrphes, staphylinidés et autres coléoptères font partie des ennemis naturels des fourmis des bois. La plupart de ces prédateurs s’attaquent à des fourmis isolées et ne menacent pas la population dans son ensemble.

Les vertébrés constituent aussi d’importants prédateurs des fourmis des bois. Le pic cendré, le pic vert, le pic noir et les tétraonidés consomment essentiellement des fourmis et peuvent endommager leurs nids (fig. 7). Les sangliers et les blaireaux peuvent également représenter une menace pour une population s’ils se mettent à fouiller dans les dômes à la recherche de larves de coléoptères. Une structure de nid endommagée laisse pénétrer la pluie à l’intérieur, ce qui peut sensiblement fragiliser la population de fourmis

La fourmilière

Pour la construction de la fourmilière sont privilégiés les emplacements bien ensoleillés en lisière de forêt, le long de chemins et dans des clairières au sein de forêts de résineux, de feuillus ou de forêts mélangées. La fourmilière est souvent installée au-dessus d’une vieille souche, et elle comprend un dôme aérien et un nid souterrain. Ce dernier peut atteindre jusqu’à deux mètres de profondeur. À l’intérieur du nid souterrain se trouvent les couloirs et les chambres où la couvée est stockée et transportée. Les matériaux les plus divers sont utilisés pour la construction du dôme, aiguilles de conifères, écailles des bourgeons, brindilles par exemple, mais aussi du matériel étranger présent sur place comme de petits cailloux. Si des particules de résine sont disponibles, elles sont intégrées dans le nid pour le stabiliser. Ces particules ont aussi un certain effet antibactérien et antifongique.

Dans une fourmilière habitée a lieu une régulation active de la température. De mars à octobre environ, les fourmis gardent une température constante dans une fourchette assez serrée, soit entre 25 et 30 °C. Les rayons du soleil constituent une source importante de chaleur. Au printemps se déroule aussi un transport actif de chaleur: dès les premiers rayons, les fourmis prennent un bain de soleil sur la surface du dôme (fig. 8). Elles se retirent ensuite à l’intérieur du nid encore froid et transmettent leur chaleur à leur environnement. Pour éviter une surchauffe de la fourmilière l’été, les fourmis construisent des gaines d’aération du dôme jusque dans le nid, qu’elles pourront ouvrir ou fermer selon les besoins.

Avec l’arrivée des températures plus fraîches et la raréfaction des aliments, la population commence à se prémunir contre l’hiver. Les fourmis stockent en effet des réserves de nourriture dans leur corps. À partir d’octobre, c’est le début de la préparation du nid en vue de la saison hivernale; de fines particules sont ajoutées au revêtement extérieur du nid pour que celui-ci soit isolant. La population des fourmis, c’est-à-dire les ouvrières adultes et les reines, passent l’hiver dans un état de léthargie profonde au sein des salles d’hibernation souterraines du nid où elles sont protégées du gel.

Importance écologique des fourmis des bois

  • La construction du nid souterrain par les fourmis des bois entraîne une amélioration physique, chimique et biologique du sol. La terre est ameublie, mélangée avec des substances organiques et enrichie en substances nutritives. La valeur pH du sol augmente d’une à deux unités et sa structure grumeleuse gagne en qualité. Une plus grande quantité d’oxygène pénètre dans le sol et l’infiltration de l’eau de pluie est facilitée.
  • Les fourmis des bois participent aussi à la dissémination des graines de nombreuses plantes herbacées et plantes ligneuses européennes. Ce type de dissémination porte le nom de myrmécochorie. Les graines de plantes spécialisées telles que le lamier, la perceneige, la corydale ou la violette, possèdent des élaïosomes – excroissances charnues attachées aux graines, riches en nutriments et très appréciées des fourmis. Les fourmis emportent ainsi les graines en direction du nid. En chemin ou une fois dans le nid, elles en détachent la partie sans valeur pour elles, et consomment l’élaïosome nourrissant. Les graines parviennent ainsi à de nouveaux endroits et peuvent y germer.
  • Comme mentionné précédemment, les fourmis des bois servent de nourriture à d’autres insectes, oiseaux et autres vertébrés. Les pics ou les geais utilisent de surcroît les fourmilières pour s’imprégner d’acide formique, ou lutter contre les parasites en frottant contre leur plumage des fourmis tenues dans leur bec. Étant donné que les fourmis des bois stimulent les colonies de pucerons du bout de leurs antennes pour qu’ils produisent plus de miellat (fig. 6), les abeilles peuvent en récolter une plus grande quantité et le transformer en miel dit «de forêt», ce dont nous profitons nous aussi, êtres humains.
  • Le rôle majeur joué par les fourmis des bois est celui de chasseur d'insectes tels que des mouches ou des chenilles de papillons (fig. 9). Les fourmis des bois sont ainsi déterminantes pour la régulation des ravageurs potentiels. Des millions de proies sont dévorées chaque année par les larves et les reines. La proportion d’insectes dans l’alimentation des fourmis des bois peut ainsi aller bien au-delà de 90 %.

Répartition en Suisse

Pour une meilleure évaluation de la répartition et de la fréquence actuelles de ces insectes importants en Suisse, le quatrième Inventaire forestier national (IFN4, 2009–2017) a servi de cadre. Le relevé et la mesure des fourmilières des fourmis des bois furent effectués sur 6357 placettes d’échantillonnage réparties dans toute la Suisse au sein d’un réseau systématique. Pour chaque fourmilière recensée, des échantillons des fourmis des bois furent prélevés, et l’espèce déterminée. Ces données fournissent pour la première fois un aperçu systématique de la présence des fourmis des bois en Suisse. Soulignons toutefois que ces relevés effectués sur des placettes d’échantillonnage ne représentent pas un inventaire exhaustif. Vous trouverez ces résultats dans l'article: Premier recensement de fourmis des bois en Suisse.

À partir de ces données, des inventaires cantonaux des fourmis et de signalements ponctuels, les scientifiques du WSL ont modélisé pour l'ensemble de la Suisse la répartition potentielle de la fourmi rousse des bois (Formica rufa, fig. 10) et des quatre principales autres espèces de ce sous-genre présentes dans notre pays (Formica polyctena, Formica paralugubris, Formica lugubris et Formica aquilonia). Les cartes qui en résultent sont disponibles sur le site Internet de l'IFN. 

Protection et préservation

Depuis longtemps déjà, le recul des fourmis des bois a suscité des inquiétudes, les données quantitatives disponibles étant toutefois rares. La mise sous protection des fourmis des bois en 1966 démontre néanmoins que leur utilité était déjà reconnue auparavant, et la densité de leurs effectifs considérée comme critique. Ceux-ci sont en effet menacés par la destruction directe de fourmilières, les changements de l’offre en nourriture ou du climat, ou par la perte de leur habitat.

La meilleure préservation des fourmis des bois consistera, pour toute personne, à faire attention aux fourmilières existantes lors de chacune de ses activités (loisirs, foresterie et agriculture). Ainsi, ni les fourmilières, ni leur environnement direct ne seront détruits. Un moyen très simple et très efficace est toutefois le marquage du nid avec un piquet enfoncé dans la terre juste à côté – ou avec un trépied sur terrain pierreux. Ainsi, le nid ne sera pas endommagé de façon involontaire lors de l’entretien de la forêt (engins, débardage du bois) ou lors de l’exploitation de terres cultivées limitrophes. Des forêts pas trop denses, avec de petites ouvertures dans la canopée, une certaine proportion de résineux et une bonne végétation au sol sont des conditions favorables à la pérennité ou à la réimplantation de colonies de fourmis.

Bibliographie

Les références figurent dans l'article original (PDF).

La publication Les fourmis des bois – biologie et répartition en Suisse est disponible gratuitement sur simple demande auprès du WSL:

Adresse de commande
WSL e-shop
Zürcherstrasse 111
CH-8903 Birmensdorf
e-shop@wsl.ch