Les grands changements dans l’utilisation des sols en Europe au cours des 100 dernières années ont fortement influé sur la flore fongique. L’intensification des surfaces agricoles a entraîné la disparition des champignons des prairies et pâturages maigres. La destruction de surfaces marécageuses, pour l’extraction de la tourbe notamment, a mis les populations des champignons spécifiques aux marais en grande difficulté. Les champignons forestiers sont victimes du changement d’exploitation des forêts par rapport aux temps passés, et de la pénurie fréquente de vieux bois et de bois mort que fait apparaître une comparaison avec les forêts naturelles. De plus, de nombreux champignons réagissent de façon sensible à la pollution atmosphérique. Au cours des dernières années, la cueillette des champignons comestibles a nettement augmenté. La diminution des espèces fongiques et l’appauvrissement de la flore fongique sont dénoncés de plus en plus souvent, notamment par les amateurs de champignons. Des changements affectant la diversité des espèces fongiques méritent toute notre attention car les champignons remplissent d’importantes fonctions naturelles. Symbiotes d’arbres forestiers, organismes de décomposition, parasites ou maillon de la chaîne trophique des insectes et des petits mammifères sont autant de rôles leur incombant.

Importance des champignons pour la forêt

Pour les champignons, la forêt constitue l’habitat par excellence. Mais la forêt pourrait-elle survivre sans champignons? Il n’est pas possible de répondre d’emblée à cette question. Les champignons jouent en tous cas un rôle très important en forêt, que ce soit pour la formation de l’humus, l’absorption des éléments nutritifs par les arbres et les herbacées, ou dans le contexte de leur résistance au stress. Dans le sol, les hyphes fongiques, grâce à leurs sécrétions, permettent d’agréger les fragments du sol et protègent notamment les pentes raides de l’érosion. Plus des deux tiers des espèces fongiques indigènes poussent et fructifient en forêt. L’âge de l’arbre, diverses données sitologiques concernant le sol (humidité, températures, fertilité ou acidité), de même que les formes d’exploitation forestière (coupe progressive par groupes, taillis, forêt jardinée, forêt sans exploitation) déterminent pour l’essentiel la présence de champignons. Nombre d’entre eux poussent uniquement dans une niche tout à fait spécialisée écologiquement et dépendent directement de celle-ci.

Environ 1600 de nos espèces forestières sont des champignons mycorhiziens (fig. 2) qui vivent en symbiose avec les arbres: ils les alimentent en eau, améliorent avant tout l’apport en éléments nutritifs de ces arbres sur les sols pauvres, filtrent certains polluants et protègent les racines contre les agents pathogènes. Ils reçoivent en échange une partie des substances assimilées au sucre produites par la photosynthèse qu’ils ne peuvent pas fabriquer eux-mêmes. Les champignons mycorhiziens et les arbres se trouvent ainsi dans une relation étroite d’interdépendance.

Les champignons saprophytes (fig. 3) décomposent le matériau organique et jouent un rôle déterminant, aux côtés d’autres microorganismes et d’animaux au sol, dans la conversion des substances nutritives en forêt. Les champignons qui décomposent la lignine, c’est-à-dire la substance ligneuse, sont particulièrement importants.

Les champignons parasites (fig. 4) insufflent une dynamique aux écosystèmes forestiers. L’endommagement de l’hôte, voire le dépérissement de certains arbres, entraînent régulièrement l’apparition de petites clairières, dans lesquelles peuvent s’établir de nouvelles plantes, mieux adaptées à l’évolution éventuelle des conditions environnementales.

Les lichens (fig. 5) sont des champignons qui vivent en symbiose avec les algues. Ce sont en effet des organismes complètement autonomes et indépendants du substrat du sol. Sur les branches et les troncs, ils n’endommagent nullement les arbres. Bien au contraire, ils proposent un habitat richement structuré et de la nourriture à divers êtres vivants de petite taille. Pour la science, les lichens représentent souvent des organismes indicateurs précis de conditions environnementales déterminées, par exemple de la qualité atmosphérique.

Connaissances scientifiques

Dès 1975, le canton de Fribourg a délimité la zone de 75 hectares de La Chanéaz à proximité de Payerne afin de constituer une réserve mycologique. Son objectif est d’obtenir des connaissances scientifiques sur l’écologie des champignons forestiers, ainsi que sur les dangers potentiels auxquels ils sont exposés. Voici quelques résultats de recherche importants pour la protection des champignons:

L’azote endommage les champignons mycorhiziens
Il fut possible de prouver expérimentalement l’effet négatif de l’azote sur les champignons mycorhiziens. Avec un apport accru d’azote, non seulement les fructifications des champignons mycorhiziens diminuèrent, mais leur mycélium souterrain se rétracta aussi et ne réussit plus à former de mycorhizes sur les racines des arbres. Fort heureusement, la plupart des champignons réapparaisssent lorsque les dépôts d’azote retrouvent un niveau normal. Entre 1975 et 2006, une diminution des champignons mycorhiziens fut constatée dans la réserve mycologique de La Chanéaz (fig. 6). Dans La Chanéaz également, les dépôts d’azote atmosphérique sont probablement responsables des modifications de la flore fongique.

Le climat influe sur la croissance des champignons
Des précipitations au cours de la saison des champignons sont de façon générale une condition préalable importante pour leur croissance et pour l’apparition des fructifications. Les températures semblent au contraire déterminer avant tout le moment du développement des fructifications. S’il fait chaud en août, la saison des champignons commence en retard; s’il fait frais, ils poussent plus tôt. Des recherches dans plusieurs pays ont montré que la saison des champignons s’est continuellement allongée en Europe depuis les années 1970 et qu’elle a légèrement reculé dans le temps. Des températures supérieures et des phases de végétation généralement plus longues semblent être responsables de cette évolution.

Les interventions sylvicoles peuvent être utiles aux champignons
Une forte éclaircie effectuée en 1987 dans un vieux peuplement de la réserve mycologique de La Chanéaz entraîna de surprenants changements: après elle, on dénombra par an en moyenne quatre fois plus d’espèces de champignons et dix fois plus de fructifications qu’avant (fig. 7). L’augmentation des champignons mycorhiziens peut notamment s‘expliquer par la meilleure croissance des arbres à la suite de l’intervention. Par contraste, lors des années qui suivent un chablis ou une coupe rase, on n’observe aucune fructification de champignons mycorhiziens sur les surfaces concernées par un tel événement.

L’essence influence la richesse en espèces fongiques
Toutes les essences n’ont pas le même nombre de champignons comme partenaires symbiotiques ou comme habitants. Des différences existent aussi bien chez les champignons mycorhiziens que chez les champignons saprophytes. En ce qui concerne les champignons xylophages, la plupart des espèces se rencontre sur les épicéas et les hêtres (fig. 8).

La cueillette ne nuit pas aux champignons
Une étude à long terme sur l’influence exercée par la cueillette des champignons sur la flore fongique débuta en 1975 dans la réserve mycologique de La Chanéaz. Les données qui reposent sur 32 années d’études démontrent que la cueillette n’a d’influence significative ni sur le nombre de fructifications, ni sur le nombre d’espèces. La méthode de récolte (que l’on cueille ou que l’on coupe les champignons) n’a aucune influence non plus. Le piétinement du sol forestier indissociable de la cueillette peut toutefois entraîner un recul de la formation des fructifications chez certaines espèces. D’autres activités de loisirs en forêt telles que l’équitation et le jogging en dehors des sentiers, ou encore l’utilisation de lourds véhicules de débardage forestier, ont probablement des effets négatifs similaires.

Mesures en vue de la conservation des champignons

Réserves naturelles
Les réserves naturelles doivent protéger les habitats proches de la nature d’une beauté particulière, ainsi qu’au niveau de leurs stations, les plantes et animaux rares dont la population est menacée. Des objectifs ciblés de protection sont définis en règle générale. Grâce à leur richesse en types d’habitats et en espèces végétales peu répandus, les réserves naturelles abritent aussi la plupart du temps des espèces de champignons rares et menacées. Une évidence devrait s’imposer: l‘interdiction de cueillir des champignons dans les réserves naturelles, ceci étant signifié par une interdiction générale de cueillette de champignons.

Réserves forestières
Dans les réserves naturelles forestières, la forêt est uniquement soumise à la dynamique naturelle, la protection des processus étant alors primordiale. Ces réserves forestières, où les processus sont protégés, sont précieuses pour les champignons lignivores en particulier. Des îlots de vieux bois se forment en effet sur de telles surfaces, ou de vieux arbres restent sur place jusqu’à la décomposition complète des troncs renversés.

Arbres biotopes
Les arbres biotopes sont des arbres individuels ou de petits groupes de troncs qui, en plus de leur âge avancé et estimé, ont un large diamètre du tronc, des fentes de l’écorce, des cavités emplies de mulm, des branches dépéries encore en place ou des blessures au tronc. De tels arbres sont colonisés par des champignons de longue vie comme les polypores (Phellinus) ou les amadouviers (Fomes fomentarius), et par toute une série de petits champignons saprophytes. Ces vieux arbres abritent aussi quelques champignons mycorhiziens très rares.

Réserves mycologiques
Dans les réserves mycologiques, la protection des espèces est primordiale. Pour que les populations de champignons puissent se reproduire sans limitation ni perturbation, la cueillette des fructifications est interdite. Des réserves mycologiques peuvent être créées en vue de la préservation de différentes espèces, par exemple des espèces prioritaires au niveau national. L’entretien doit être complètement axé sur les exigences de l’espèce de champignon concernée.

Recommandations quant aux limitations de la cueillette des champignons
Sur la base du niveau actuel de connaissances, il faut remettre en question l’utilité directe des limitations de la cueillette pour la protection des espèces de champignons. La récolte de fructifications n’a d’influence négative ni sur le nombre de fructifications fongiques, ni sur la diversité des espèces sur le lieu de cueillette. Les champignons semblent pouvoir récupérer des dégâts liés au piétinement. Une inconnue demeure toutefois: le nombre de spores nécessaires à la pérennité à long terme des espèces.
Les champignons comestibles, dont les quantités récoltées sont depuis longtemps les plus élevées, continuent néanmoins d’être largement répandus et fréquents. Selon les critères de la Liste rouge, ils ne sont pas menacés. Les limitations de la cueillette appliquées aux espèces de champignons ne sont dès lors pas urgentes. Dans le sens d’une répartition équitable d’un produit forestier de plus en plus prisé, et du point de vue de la protection de la nature, la limitation des quantités (par exemple 2 kilogrammes par personne et par jour) et les périodes d’interdiction de la cueillette se justifient toutefois largement.

Encourager l’acquisition de connaissances sur les champignons
Préserver la grande diversité des espèces de champignons ne sera possible que si l’on encourage l’acquisition de connaissances en ce domaine. Les Hautes Écoles, les sociétés et associations mycologiques peuvent livrer les bases nécessaires à cet effet. Un réseau dense et actif d’amis du champignon aide à conserver les connaissances locales sur les espèces. Dans les lieux de contrôle des champignons, les cueilleuses et cueilleurs peuvent aussi remettre à jour et élargir leurs connaissances, et s’informer sur les prescriptions actuelles concernant la cueillette et sur les espèces protégées.

Commission Suisse pour la Sauvegarde des Champignons (CSSC)

Des spécialistes de la mycologie ainsi que des représentants de diverses organisations, dont la Société forestière suisse, la VAPKO et les Offices cantonaux de protection de la nature, fondèrent en 1998 la Commission Suisse pour la Sauvegarde des Champignons (CSSC). Elle se consacre aux questions et aux problèmes liés à la conservation et à la sauvegarde des champignons sauvages en Suisse. La Commission vise à préserver leur biodiversité et à favoriser la protection de leurs habitats.

Bibliographie

Les références figurent dans l'article original (PDF).

La publication Protéger et favoriser les champignons est disponible gratuitement sur simple demande auprès du WSL:

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