Synthèse de deux expériences en forêt ardennaise

Des expérimentations ont été menées en forêt dans le cadre de deux dissertations pour mieux comprendre le comportement relatif du chêne et du hêtre et en tirer des recommandations pour la gestion forestière. Les recherches se sont focalisées sur l’impact de la lumière disponible sous le couvert sur la survie et la croissance des semis des deux espèces.

D’une part, quatre sites ont été équipés d’ombrières pour contrôler l’intensité et la qualité lumineuse et d’autre part, le développement des semis a été suivi dans vingt-sept sites représentant diverses conditions de structure et de composition de la hêtraie-chênaie ardennaise. Grâce à ces deux études, des dizaines de milliers de données permettant la caractérisation de la lumière, des arbres de la futaie et des semis ont ainsi été récoltées durant plusieurs années.

Double avantage compétitif du hêtre

Les résultats indiquent que:

  • contrairement aux semis de chêne, les semis de hêtre ont la capacité de se maintenir dans des sous-bois très sombres (moins de 10 % d’éclairement relatif contre 20 % pour le chêne) et de croître ensuite très rapidement après une ouverture du couvert;
  • pour croître de façon optimale, les semis de chêne ont besoin de deux fois plus d’éclairement (éclairement relatif d’environ 20 %) que les semis de hêtre (éclairement relatif d’environ 10 %);
  • quelles que soient les conditions d’éclairement, les groupes de semis de hêtre poussent toujours plus vite que ceux de chêne.

L’avantage compétitif du hêtre sur le chêne est donc double: tant la survie que la croissance sont supérieures sous des couverts refermés. Naturellement, il est donc très peu probable que le mélange chêne-hêtre se maintienne au cours du temps sans intervention humaine ou sans perturbation de grande ampleur. La coexistence actuelle de ces deux espèces dans nos peuplements est avant tout le résultat d’anciennes pratiques sylvicoles.

Des interventions délicates

Pour régénérer naturellement le chêne, les interventions doivent donc passer simultanément par une mise en lumière adéquate (coupes partielles, trouées de régénération), et par une gestion stricte de la compétition du hêtre sur le chêne (cassage, dégagement des chênes dans les régénérations mixtes). La mise en lumière adéquate des semis reste une tâche délicate pour le forestier. À l’aide de simulations, les chercheurs ont démontré que le gain d’éclairement ne dépend pas uniquement de l’intensité d’éclaircie mais également du type d’éclaircie.

En particulier, la création de trouées (surface voisine de 5 ares), permet d’augmenter très fortement l’éclairement transmis au sous-bois, sans mettre en péril les semis par le développement trop important de ronces ou de fougères. En outre, les coupes par le bas, qui prélèvent préférentiellement les plus petits arbres (charme et hêtre essentiellement), augmentent plus fortement l’éclairement transmis que les coupes par le haut qui prélèvent préférentiellement les plus gros arbres.

Les trois commandements du sylviculteur de chêne

Ces études démontrent qu’il est possible, dans un contexte où la pression de gibier est contrôlée, de régénérer les chênes en forêt ardennaise à condition de suivre les «trois commandements du sylviculteur de chêne»:

  1. Surveiller l’apparition d’une glandée ou d’un semis acquis en maintenant le sol «propre» par un couvert épais qui inhibe les semis de hêtre (éclairement relatif inférieur à 5 %) ;
  2. Dès l’apparition de la glandée ou du semis, relever immédiatement le couvert dans l’année-même par une coupe forte par le bas ou par trouées de maximum 5 ares;
  3. Lutter régulièrement (autant de fois que nécessaire) contre le développement du hêtre dans les plages de semis.

Ensuite, après cette phase de sauvetage, le sylviculteur continuera de libérer progressivement les semis au fur et à mesure de leur croissance, selon le chemin qu’il aura choisi, soit en agrandissant les trouées, soit en continuant ses coupes progressives.

D’un point de vue organisationnel, le suivi de ces recommandations nécessite de s’appuyer sur des aménagements forestiers souples, permettant de réagir instantanément à la dynamique propre à la forêt et de suivre annuellement le devenir des collectifs en régénération.