Les prédictions du développement des peuplements forestiers et des prestations qu’ils fourniront à l’avenir sont aussi vieilles que l’économie forestière. Les forêts de montagne assurent de nombreuses prestations, et la viabilité de nombreuses vallées alpines dépend, entre autres, de leur bon état. Aussi le choix des facteurs utilisés pour estimer le développement des forêts de montagne revêt-il une importance particulière (voir Bugmann 2001). Dans le présent article, je pars de l’hypothèse que le climat (contexte physique) ainsi que la gestion (contexte socio-économique) auront une plus grande importance que des facteurs tels que l'effet fertilisant du CO2 et les dépôts d’azote (contexte chimique) ou les conditions-cadres politiques, telles que le protocole de Kyoto (contexte politique).

Changement climatique: demain ou déjà aujourd'hui?

Il n’est pas nécessaire de se référer uniquement à des modèles pour examiner les effets du changement climatique anthropogène.

Le fort décalage des événements phénologiques observé au cours des dernières décennies (p. ex. débourrement et floraison plus précoces de nombreuses espèces, prolongation de la période de végétation, etc.), le dépérissement de grandes surfaces forestières pour cause de sécheresse, notamment dans l’Ouest des Etats-Unis depuis le début de ce siècle, ou les attaques d’insectes actuelles dans de nombreuses forêts de montagne ne peuvent pas être interprétés de manière sûre comme étant les premières conséquences du réchauffement climatique provoqué par l’homme. D’après les connaissances scientifiques actuelles, il s’agit de phénomènes dont la fréquence pourrait augmenter sous un climat plus chaud et plus variable et avec des étés plus chauds au centre de la plupart des continents.

Dans le cas des attaques d’insectes, deux facteurs se superposent: le changement climatique et la susceptibilité des peuplements, qui augmente avec l'âge. Il faut cependant constater que de tels changements n’ont pas que des conséquences négatives. Certaines régions du globe profiteront du changement climatique. Des effets positifs se feront même probablement ressentir dans plusieurs régions de Suisse. Pour mémoire, alors que la sécheresse de 2003 mettait en difficulté l’agriculture du Plateau suisse, les écosystèmes des zones d’altitudes ont avant tout profité des températures plus élevées, parce que les précipitations étaient encore suffisantes. Les paysans de l’étage montagnard ont pu tirer profit d’une récolte des foins suffisamment bonne pour aider leurs collègues du Plateau. Les cernes des régions d’altitude ont également réagi positivement, ce qui signifie qu’en 2003, la croissance des arbres y était particulièrement bonne.

Tâches de la recherche

Une des tâches centrales de la recherche forestière actuelle consiste à élaborer et mettre à disposition les connaissances nécessaires à la gestion durable de nos forêts dans un contexte dans lequel les conditions-cadres sociales, économiques et abiotiques évoluent constamment et simultanément.

Je suis persuadé que les trois domaines thématiques suivants revêtent une importance primordiale en rapport avec les forêts de montagne et le changement climatique anthropogène:

  • premièrement, l’évolution de la structure des forêts de protection;
  • deuxièmement, la question de savoir si les forêts de montagne pourraient être utilisées comme puits de CO2 et de connaître l’ampleur des effets en découlant;
  • et troisièmement, les modifications des régimes de perturbations telles que volis, attaques d’insectes et incendies de forêts qui entraînent non seulement des pertes économiques directes, mais qui sont également déterminantes pour la fonction de protection, l’esthétique du paysage et toute une série d’autres prestations forestières.

Dynamique de la structure des forêts de protection

Grâce à des modèles de croissance forestière (par exemple SILVA) ou de succession forestière (par exemple FORCLIM), la recherche est actuellement en mesure de formuler des conclusions assez précises sur la dynamique structurelle des forêts de montagne. Wehrli et al. (2007, voir figure 1 ci-contre) ont appliqué un tel modèle à la forêt du Stotzigwald (Gurtnellen UR) afin d’évaluer quelle serait la structure de cette forêt dans 60 ans sous différents scénarios (p. ex. gestion, abroutissement par le gibier). Ils ont comparé les résultats avec les profils exigés par l’étude NaiS (Gestion durable des forêts de protection) pour constater que dans de nombreux cas, la forêt n’assurerait plus de manière suffisante la fonction protectrice contre les chutes de pierres. Dans le cadre de notre chaire, nous élaborons actuellement une nouvelle génération de ce modèle afin d’obtenir des évaluations plus précises et de l'appliquer à d’autres stations.

Nouvelle prestation forestière: puits biotique de CO2?

La biosphère terrestre et tout particulièrement les forêts revêtent une grande importance pour le bilan global du carbone et de la concentration atmosphérique en CO2. Il en découle la question de savoir si des forêts peuvent être utilisées comme puits de carbone (protection du climat) et éventuellement être décomptées pour des réductions d’émissions dans le cadre du protocole de Kyoto. L’ampleur du potentiel de puits n’est cependant pas claire, puisqu'à long terme et suite à l’impact direct du climat (p. ex. augmentation de la respiration dans un climat plus chaud) ou en fonction de perturbations telles qu’attaques d’insectes, volis ou incendies, ces puits pourraient à nouveau être détruits.

Au cours des dernières années, nous avons utilisé des modèles pour estimer la fonction de puits (p. ex. Schmid et al. 2006, Zierl et Bugmann, 2007) des forêts et des paysages suisses. Selon nos estimations, la fonction de puits diminuera à partir du milieu du 21e siècle et disparaîtra totalement vers l’année 2100, et ce, quel que soit le scénario de gestion. En outre, le changement climatique (augmentation de la sécheresse en été, respiration accrue) pourrait encore affaiblir la fonction de puits. À notre avis, il faut donc se demander si l’on veut courir le risque à long terme de la destruction des puits par des volis, des attaques d’insectes ou des incendies dans le seul but de sauvegarder un effet limité à quelques décennies. En outre, une future source de carbone serait assurément taxée financièrement.

Perturbations: la règle pour l’avenir?

Les attaques massives d’insectes dans le parc national du Bayerischer Wald, ou les ouragans Vivian, Wiebke et Lothar nous ont fait prendre conscience que les perturbations jouent un rôle important dans la dynamique des forêts. Etant donné que les scénarios climatiques n'impliquent pas seulement une modification des moyennes des variables climatiques, mais surtout une augmentation de leur variabilité, il faut s’attendre à ce que la fréquence des phénomènes météorologiques extrêmes augmente à l’avenir. Il se pose donc la question de savoir quels changements subiront les régimes de perturbations. Nous travaillons sur différents projets dans ce contexte, y compris les risques d’incendie de forêt (voir figure 2). Les premiers résultats démontrent que de nombreuses forêts suisses pourraient subir un régime d’incendies totalement nouveau, entraînant des conséquences par exemple sur leur fonction protectrice. Les travaux de recherche en cours dans notre chaire ont pour but de vérifier ces premières conclusions quant à leur véracité et d’améliorer les modèles qui sont à leur base.

Limites de la recherche

De même qu'un verre peut être décrit comme étant à moitié plein ou à moitié vide, la recherche peut réaliser beaucoup ou seulement très peu, selon le point de vue où l'on se place. La recherche ne peut assurément pronostiquer le développement futur des forêts de montagne, et cela pour trois raisons très distinctes:

  • Premièrement, le développement du climat futur dépend des émissions en CO2, des changements de la couverture terrestre, etc. Il n’est pas possible de prévoir les activités humaines sur des décennies, étant donné que les humains ne fonctionnent pas comme des machines.
  • Deuxièmement, la compréhension scientifique des systèmes climatiques n’est pas parfaite, comme nous le vivons occasionnellement lorsque les prévisions du temps se révèlent erronées. Même en disposant de connaissances parfaites au sujet du contenu en gaz à effet de serre dans l’atmosphère, il ne serait pas possible de calculer avec précision leurs effets globaux ni même locaux sur le climat.
  • Troisièmement, la prévision de la réaction de forêts entières ou de paysages n’est pas possible, même si l’on disposait de pronostics climatiques parfaits pour un site précis (tels que, p. ex., le Stotzigwald ou le Gantertal). Car, par analogie avec le système climatique, nos connaissances sur les relations exactes et les flux à l’intérieur de l’écosystème forestier ne sont pas suffisantes.

Le verre serait-il même moins qu’à moitié vide? Je ne le pense pas. Les scénarios climatiques ainsi que les changements qui en découlent dans les forêts de montagne sont des pistes plausibles de leur développement. Ils permettent d’orienter la gestion des forêts de telle manière à éviter des effets négatifs et minimiser les risques.

La recherche ne peut pas prendre des décisions à la place des responsables de la pratique, mais seulement offrir des aides à la décision. Les constats scientifiques concernant les effets du changement climatique constituent une base nécessaire mais non suffisante pour prendre des décisions concernant la gestion des forêts de montagne. En conséquence, une collaboration étroite entre science et pratique est nécessaire afin, premièrement, que la science fournisse les informations appropriées et deuxièmement, que cette information soit interprétée et appliquée correctement par la pratique.