Qui fait preuve d’innovation accroît ses chances de perdurer sur le marché. Or, comme la forêt et ses ressources bénéficient d’un préjugé très favorable et de l’intérêt de la société, il est tout à fait pertinent de réfléchir plus longuement à la foresterie. Dans ce but, différents acteurs – Formation continue Forêt et paysage, Haute école suisse d’agronomie (HESA) et Tout feu tout flamme – ont organisé en novembre 2010 un atelier suivi par plus de 30 spécialistes à Hirschthal.

Plusieurs prestations et produits novateurs issus de la forêt ont été présentés. Une entreprise spécialisée dans la créativité axée "développement de nouveaux produits" a promulgué des conseils pour atteindre, en dépit des obstacles, les objectifs visés, les ancrer dans l’entreprise forestière, les pérenniser et ensuite développer des produits dérivés. Car des idées fortes soustendent des innovations fortes.

Aires de jeux en bois de châtaignier

Les châtaigniers impriment leur marque aux paysages du Tessin et des vallées du sud des Grisons. A maints endroits, les forêts protègent des dangers naturels et sont un élément essentiel du paysage. Un mandat central de la politique régionale et de développement consiste à les sécuriser, à les protéger et à les valoriser. Des poteaux en châtaignier écorcé ou fraisé servent à fabriquer des jeux durables, ici un labyrinthe.

Remarquablement durable, le bois de châtaignier demeure résistant pendant trente à quarante ans et n’a pas à être imprégné. Simple à transformer, il peut donner lieu à des utilisations variées (bordures de jardin, parquets, piquets de vigne, bardeaux ou installations de stabilisation de pentes, parois d’isolation phonique, etc.). Du bois récolté, moins de 10% représentent du bois d’oeuvre, 70% correspondent à du bois-énergie. Restent quelque 23% de bois de qualité inférieure, qu’en faire?

Au début des années 1990, Fulvio Giudici, de Federlegno Ticino (organisation faîtière des propriétaires de forêt, des entreprises forestières et de l’industrie du bois), et des collègues tessinois ont eu l’idée de façonner des aires de jeux à partir de bois de châtaignier. Celles-ci constituent en même temps un bon exemple d’utilisation durable du bois, avec un effet en cascade puisque la durée d’utilisation du bois de feu potentiel est rallongée. Dans ce projet, Federlegno Ticino a permis l’échange d’expériences entre participants, a organisé le réseau et a contribué à la sécurité technique et à l’amélioration de la qualité.

Facteurs de succès de ce projet

  • l’exclusivité, car chaque aire de jeux est un modèle unique adapté aux conditions locales et aux souhaits du mandant (circuit à billes, labyrinthe, parcours pour les VTT, arche de Noé, sol spécial et balançoires)
  • l’orientation sur les besoins locaux
  • une acceptation élevée grâce aux composantes sociales et émotionnelles, où communes, écoles et entreprises locales sont impliquées dans le processus
  • la prise en compte des aspects esthétiques et culturels (le neveu d’Alberto Giacometti a notamment participé à ce projet)

Il existe un CD-ROM de cette réalisation contenant informations exhaustives et aides décisionnelles pour toutes les phases d’un projet d’aire de jeux: obtention de fonds, réalisation, liste du matériel, coût, plans de construction et entretien. Ce CD-ROM a été élaboré en collaboration avec les services forestiers cantonaux. Entre-temps, 60 aires de jeux différentes ont vu le jour.

Dans le cadre d’un projet d’aire de jeux, les écoliers découvrent le chemin qu’emprunte le bois pour aller de la forêt (arbre vivant) à leur commune (aire de jeux), en passant par une entreprise locale (transformation). Les participants sont d’abord dans la forêt, puis la forêt se fraie un chemin jusqu’en ville et les écoliers qui la suivent la retrouvent sur un terrain de leur commune, dans un centre commercial ou dans l’enceinte d’une école. Cette démarche permet de conférer une image de marque positive aux entreprises forestières, aux communes et aux firmes qui sont parties prenantes du projet. L’entreprise forestière propose à ses clients la matière première, la conception et même, le cas échéant, la construction d’une aire de jeux en bois. Les habitants des communes mandantes et les entreprises locales de transformation sont impliqués dans les travaux. Quand les aires de jeux sont terminées, les entreprises forestières assurent leur entretien. L’exemple venu du Tessin illustre donc parfaitement une courte chaîne forêt-bois.

Culture de truffes tout à fait rentable

Une autre idée novatrice pour les entreprises forestières ou les propriétaires de forêt est la culture de truffes. Jean-Marie Dumaine, président de l’association Ahrtrüffel, l’a expliqué de façon saisissante. Les conditions nécessaires sont, outre un sol calcaire au pH supérieur à 7,5, la présence de plants d’essences locales mycorhizés par un champignon (en l’occurrence la truffe de Bourgogne). Les truffes sont des ascomycètes qui vivent en symbiose avec différentes essences: chêne, hêtre et noisetier, mais aussi tilleul, merisier et pommier sauvage.

La trufficulture présente de grands intérêts pour les forestiers et pour les propriétaires de forêt, soit des prix de vente extrêmement attractifs pour des truffes de qualité et une demande constamment élevée. La culture de truffes, rares dans la nature, a déjà fait ses preuves, se révèle prometteuse et ses coûts sont limités. Avec le changement climatique, on peut s’attendre à ce que de nouvelles régions deviennent des zones potentielles de trufficulture.

Les risques et les difficultés

Celle-ci est toutefois fort risquée et fort exigeante. Les boutures sont très prisées par le gibier, l’alimentation en eau doit être garantie tous les dix jours et la surface être paillée régulièrement. La récolte peut très bien faire défaut, ne serait-ce qu’à cause des maladies de l’arbre ou des conditions météorologiques. Normalement, il faut de trois à cinq ans pour une première récolte et la quantité récoltée varie grandement selon les années. Enfin, il est primordial d’assurer une protection contre le braconnage de truffes.

Les entreprises forestières qui remplissent ces conditions de production peuvent rapidement commercialiser et rentabiliser cette activité novatrice. A la vente de plants s’ajoute en effet le gain lié à une forte demande d’excursions (payantes) organisées avec le concours de la gastronomie locale et proposant la démonstration de chiens truffiers. Les terres en friche ou encore les lisières de forêt, c’est-à-dire les surfaces relativement non productives et étroites, peuvent être valorisées par cette culture. Une coupe de bois peut être suivie d’un reboisement avec des plants mycorhizés. La valorisation du bois d’oeuvre est quant à elle conservée sur le long terme puisque la culture de truffes s’effectue comme exploitation forestière normale élargissant seulement les formes d’exploitation existantes.

Les truffières "en place" doivent être entretenues et sarclées deux fois par an. Les instruments nécessaires sont en règle générale disponibles dans l’entreprise forestière. En cas de déficit hydrique, il faut assurer une alimentation occasionnelle en eau. L’entreprise forestière qui ne souhaite ou ne peut pas elle-même cultiver de truffes a la possibilité de se spécialiser dans la production de plants d’essences locales et de se positionner ainsi comme fournisseur.

Le multitalentueux arolle

Parce qu’il associe de nombreuses propriétés positives, l’arolle représente une essence intéressante pour les entreprises forestières et les propriétaires de forêt en montagne. Josef Heim, président de la Fédération forestière du Tyrol, a démontré qu’à la fin des années 1990, sur environ 36 000 m3 de bois d’arolle produits chaque année, seuls 3000 m3 étaient utilisés. D’où une perte de 3,6 millions d’euros de création de valeur par année pour tous les propriétaires de forêts d’arolles.

En 1999, une conférence consacrée à l’arolle a réuni au Tyrol des participants provenant de quatre pays. Objectif poursuivi: rassembler les connaissances tirées de l’expérience et faire mieux connaître les caractéristiques positives du bois d’arolle ainsi que son utilisation.

Toutefois, aucune donnée scientifique ne venait à l’époque corroborer ces valeurs empiriques. Or, on dispose aujourd’hui d’une étude sur les répercussions du bois d’arolle sur l’être humain, étude menée dans le cadre du projet IN TERREG "ARGE" en collaboration avec des partenaires en provenance du Tyrol du Sud, d’Italie, d’Autriche et de l’association des Grisons SE LVA. Il en ressort qu’un lit en bois d’arolle améliore entre autres la profondeur du sommeil et réduit la fréquence cardiaque moyenne. Les résultats obtenus sont accessibles à un large public sur le site www.zirbe.info.

L’arolle a ainsi changé d’image, passant d’un bois de tradition à une essence tendance. Entre-temps, le prix du bois et la demande ont fortement augmenté et nombre de menuiseries se sont spécialisées dans des produits en bois d’arolle. Ce type de bois s’utilise maintenant dans la literie (coussins et couettes en arolle), les meubles, les secteurs de la gastronomie et du bien-être, mais aussi comme bois de terrasse ou de sculpture. En Autriche, des concours ont même été lancés afin de donner une nouvelle impulsion aux meubles et autres produits dérivés de cette essence.

Grâce aux conclusions de l’étude scientifique, l’arolle a bénéficié de l’attention du public. Ces résultats allant dans le sens de la tendance générale vers plus de santé et de bien-être, les entreprises de transformation du bois ont pris le train en marche et saisi l’occasion. Un atout supplémentaire a été d’avoir une société établie et indépendante des entreprises (proHolz Tirol) qui s’est consacrée en continu à ce thème et a maintenu l’intérêt du public à un niveau élevé.

La Biberburg ou Hutte de castor à Hirschthal

La grande manifestation 400 Jahre Wald Hirschthal a fait naître l’idée de créer quelque chose de nouveau et de durable en même temps. Nature, culture et sociabilité sont les maîtres mots de l’association Wald Hirschthal Biberburg. Elle vise à rapprocher l’être humain de la nature.

Son programme culturel veut sensibiliser les visiteurs de tous âges à un comportement responsable en faveur d’un environnement durable. 5% du chiffre d’affaires de la Hutte de castor sont réinvestis dans un projet environnemental lié à la forêt. La Hutte de castor en tant que telle est une entreprise à but non lucratif. Son bénéfice revient à l’association et finance des projets forestiers dans les domaines de la protection de l’environnement, de la nature ou de la culture. Même si ce centre culturel et gastronomique est indépendant de l’entreprise forestière locale, une symbiose existe. Le plus souvent, en effet, les associations et les entreprises qui louent la Hutte de castor pour organiser leurs événements réservent en même temps une visite en forêt à l’entreprise forestière.

Cette Hutte de castor a été construite à base de matières premières indigènes et recyclables, du bois avant tout. Les membres de l’association ont réalisé ensemble ce projet avec l’aide de sponsors et de donateurs. Lors de la phase préparatoire, la totalité des séances ou des événements eut lieu en forêt afin de permettre aux initiateurs et aux accompagnateurs de vivre le thème de l’intérieur. Aucun carcan n’a été imposé, ni aux coûts ni aux idées, lors du brainstorming: "Rien n’est impossible – à chaque proposition de qualité, un sponsor spécifique", telle en a été la devise. "C’est la seule façon de faire naître des idées novatrices", souligne Urs Gsell, président de l’association Wald Hirschthal Biberburg.