Les observations se sont déroulées sur trois sites à différentes altitudes et avec des densités de gibier différentes (fig. 2). Le cerf, le chevreuil et le chamois sont présents sur les sites Wandfluh (800–900 m d’altitude, commune de Wolfenschiessen NW) et Niderental (900–1250 m d’altitude, commune de Schwanden GL). Sur le site Uetliberg (550–700 m d’altitude, commune de Zurich), le chevreuil est le seul ongulé.

Les plants ont été suivis pendant 3,1 ans en moyenne. Nous les avons observés et photographiés plusieurs fois par an. En comparant les photos (fig. 3 et 4), nous avons pu déterminer l’essence et dater l’abroutissement. Notre dispositif expérimental ne permet toutefois pas de tirer des conclusions quant aux préférences du gibier pour l’une ou l’autre essence, ou sur l’abroutissement dans les sites étudiés.

Cinq périodes définies d’abroutissement

L’intensité de l’abroutissement varie d’une saison à l’autre. On distingue en général entre l’abroutissement d’été et celui d’hiver. Certaines essences sont principalement abrouties en été, et d’autres surtout ou uniquement en hiver. Dans le courant de notre étude, nous avons remarqué que l’intensité de l’abroutissement augmentait parfois aussi dans le courant de ces deux saisons.

De nombreux feuillus sont ainsi fortement abroutis pendant les premières semaines suivant le débourrage, alors qu’à la fin de l’été les rameaux et les feuilles des arbres perdent de leur importance dans le régime alimentaire du gibier. De même, l’abroutissement n’est pas réparti de manière égale pendant tout l’hiver; il est plus fréquent dans sa deuxième moitié que dans la première.

Ces observations nous ont permis de définir cinq périodes pour le classement des épisodes d’abroutissement. Ces périodes devaient si possible correspondre avec des phases phénologiques: débourrage, chute des feuilles, perte de vitalité du feuillage. En l’absence de caractéristique phénologique distinctive, nous avons choisi une limite arbitraire, par exemple pour définir la fin de la période qui suit le débourrement. Nous avons fixé au 15 janvier la date séparant les deux périodes hivernales, car c’est environ à cette époque que reprend la croissance des arbres.
 

  • Période 1, début de l’hiver: premières chutes des feuilles jusqu’au 15 janvier (en moyenne 75 jours)
  • Période 2, fin de l’hiver: du 15 janvier jusqu’au débourrement (en moyenne 105 jours)
  • Période 3, 20 premiers jours après le débourrement
  • Période 4, début de l’été: jusqu’à l’apparition des signes de perte de vitalité du feuillage (en moyenne 100 jours)
  • Période 5, fin de l’été: jusqu’à la chute des feuilles (en moyenne 65 jours)

Le débourrement printanier marque la séparation entre l’abroutissement d’hiver et l’abroutissement d’été. Il peut toutefois se produire à des dates très différentes en fonction des essences, des sites et des conditions météorologiques. Nous avons ainsi observé le débourrement le plus précoce en 2011 chez des merisiers et des ormes à Zurich, le site le plus bas en altitude de notre étude. Ces essences y ont débourré dès les premiers jours de mars. De tous les débourrements que nous avons relevés, le plus tardif a été en 2010 celui de l’épicéa à Schwanden, à 1250 m d’altitude, début juin. La chute des feuilles peut, elle aussi, se produire dès début octobre. Ou seulement fin novembre.

La transition entre le début et la fin de l’été a été fixée comme étant le moment où la vitalité du feuillage est en baisse. Les pertes de vitalité sont abondantes et réduisent apparemment l’attractivité du feuillage pour le gibier. Elles peuvent être dues à des attaques d’insectes (galles, pucerons) ou de champignon (oïdium), ou éventuellement à des polluants atmosphériques ou à des déficits en éléments nutritifs. D’une situation à l’autre, les phénomènes se produisent à des moments très différents, ou peuvent faire défaut. La période 5 (fin de l’été) peut donc s’étendre sur une durée plus ou moins longue.

A la fin de l’été et au début de l’hiver, le gibier trouve des fruits et des champignons en guise d’alternative aux feuilles des arbres qui commencent à perdre de leur attractivité, en partie à cause des galles ou de la tache goudronneuse de l’érable. En hiver, la présence ou non d’abroutissement dépend moins de l’aspect des plantes que de la hauteur et des propriétés du manteau neigeux.

Des résultats très variés

Pendant notre étude, nous avons constaté au total 397 cas d’abroutissement sur les trois sites (tableau 1). Le nombre de cas varie fortement entre les essences. Sur toute la durée de l’étude et sur les trois sites, nous avons noté 93 cas chez l’érable sycomore contre sept chez l’épicéa.

Au cours de notre étude, l’orme et l’érable sycomore ont été les plus fréquemment abroutis (1,20 respectivement 1,11 cas par arbre et par an), suivis du sorbier des oiseleurs (0,83) et du chêne (0,64). Ces différences s’expliquent par l’attractivité des essences en tant que sources d’aliment, d’une part, et par l’emplacement des sites d’étude, d’autre part. Les nombreux cas chez l’érable et le sorbier sont également dus au fait que dans notre étude, un grand nombre d’arbres de ces deux essences se trouvent à Schwanden, une réserve de faune avec des effectifs élevés de gibier.

Tabl. 1 - Nombre d’arbres observés par essence, durée moyenne des observations et nombre de cas d’abroutissement relevés.

L’abroutissement atteint son maximum à des moments de l’année très différents selon les essences (fig. 5). Le seul feuillu abrouti au maximum à la fin de l’hiver est le hêtre. De manière générale, cette essence est moins touchée que les autres (0,33 cas par arbre et par an), de même que l’épicéa (0,22). Le hêtre est uniquement abrouti dans les secteurs où le cerf est présent. Son attractivité pour le chamois fait actuellement l’objet d’observations à l’aide de pièges photographiques.

Chez le sapin, l’épicéa et le hêtre, l’abroutissement maximal a été constaté à la fin de l’hiver, chez toutes les autres essences pendant les 20 premiers jours suivant le débourrement et au début de l’été. Si l’on considère que les 20 premiers jours suivant le débourrement constituent une fenêtre de temps relativement courte, la proportion de cas observés est étonnamment élevée. Alors que la période 4 (début de l’été, environ 100 jours) dure cinq fois plus longtemps que la période 3 (20 premiers jours après le débourrement), elle a comporté un nombre de cas chez l’orme à peine 1,6 fois supérieure.

Chez le tilleul et le chêne, la période la plus attractive pour le gibier est également celle qui suit le débourrement. A l’exception de l’érable plane, tous les feuillus de cette étude ont la plus forte probabilité d’être abroutis pendant les 20 premiers jours après le débourrement. Chez l’épicéa et le sapin, cette probabilité est la plus élevée pendant la deuxième moitié de l’hiver.

Dans notre étude, la probabilité d’être abrouti pour un jour donné varie fortement d’une espèce et d’une période à l’autre (fig. 6). Les données collectées indiquent par exemple que le risque d’abroutissement chez l’érable sycomore est de 1% pendant les 20 premiers jours après le débourrement, et d’environ 0% chez le sapin en été.

La figure met en évidence l’évolution de l’attractivité de chaque essence pour le gibier. Toutefois, la probabilité d’être abrouti n’est que partiellement comparable entre deux essences, car les différences ne sont pas uniquement liées à l’attractivité en soi, mais également à une présence plus ou moins forte des essences sur les trois sites d’étude.

Quelques enseignements pour la pratique

Lorsque l’on est conscient du calendrier de l’abroutissement, on peut prendre des mesures de prévention plus ciblées! Pendant la deuxième moitié de l’hiver et au début de la période de végétation, les jeunes arbres forestiers sont une source d’alimentation particulièrement importante pour les ongulés sauvages. En revanche, l’abroutissement est sensiblement moins fréquent à la fin de l’été et au début de l’hiver.

Il est frappant de constater que le sapin est exclusivement abrouti en hiver: sur les 33 sapins observés en moyenne pendant près de quatre ans, aucun cas d’abroutissement n’a été constaté pendant les périodes estivales, y compris là où la pression du gibier est forte (fig.7). Ce constat suggère que le sapin n’a en général pas besoin d’être protégé contre l’abroutissement d’été. Il semble qu’à cette saison, ses aiguilles possèdent des substances aromatiques désagréables pour les ongulés sauvages. Des vidéos filmées par des pièges photographiques ont montré que des chamois se détournaient de rameaux de sapin après les avoir reniflés. Ils peuvent d’autant plus facilement se permettre de les dédaigner qu’ils disposent d’autres sources d’alimentation en été.

    Il est également indispensable de connaître le déroulement de l’abroutissement afin de choisir le bon moment pour procéder aux relevés. Le fait que l’abroutissement du sapin soit particulièrement intensif avant le débourrement est important pour les relevés de printemps, fréquents en bien des endroits. En revanche, si l’on souhaite relever dans son ensemble l’abroutissement de l’hiver précédent, il faut attendre jusqu’aux derniers jours avant le débourrement. Selon l’altitude et les températures au printemps, le moment idéal pour le sapin se situe entre fin avril et mi-mai.

    Par ailleurs, les résultats de cette étude sont utiles pour des observations à l’aide de pièges photographiques. Ces derniers sont actuellement de plus en plus souvent utilisés pour collecter des informations sur le déroulement de l’abroutissement. Leur mise en oeuvre est plus efficace lorsque l’on sait quand l’abroutissement risque de se produire. Enfin, cette étude peut améliorer la qualité des simulations d’abroutissement expérimentales ou par ordinateur. En effet, pour simuler de manière aussi réaliste que possible l’abroutissement en conditions expérimentales, il est indispensable d’avoir des connaissances sur les types d’abroutissement, leurs conséquences et le moment où ils se produisent.

    Traduction: Michèle Kaennel Dobbertin (WSL)