Les bostryches font partie des insectes nuisibles les plus importants au monde. Le typographe, par exemple, est responsable d’environ 10% de tous les dégâts causés aux forêts européennes. Ses pullulations massives se produisent surtout après de fortes tempêtes, comme Vivian et Wiebke en février 1990, ou Lothar en décembre 1999. Au cours des années qui ont suivi ces événements, deux millions (1990–1996), respectivement huit millions (2000–2007) de mètres cubes de bois avaient été infestés. A cette époque, l’été caniculaire de 2003 avait encore aggravé les pullulations consécutives à la tempête Lothar.

Deux autres fortes pullulations du typographe avaient également endommagé de grandes quantités de bois au XXe siècle: (1) dans la première moitié des années 1940, des étés chauds et secs avaient permis au typographe de se multiplier en masse et d’infester 300 000 m3 de bois au total; (2) une tempête de foehn en novembre 1982 ainsi que les étés chauds qui avaient suivi et des tempêtes de vent de secteur ouest en novembre 1983 avaient conduit à de fortes pullulations qui s’étaient soldées par 600 000 m3 de bois infestés jusqu’en 1985. D’autres proliférations de bostryches se sont produites à l’échelle régionale, notamment après des dégâts aux forêts consécutifs à des tempêtes de foehn et à la pression de la neige.

La protection de la forêt suisse enquête

Les signalements de forêts dépérissant sous l’effet des dépôts de polluants en Europe de l’Est avaient incité les chercheurs, au début des années 1980, à examiner de près l’état sanitaire des forêts d’Europe centrale. Outre les dégâts aux forêts, qualifiés autrefois «d’un genre nouveau», l’établissement de diagnostics et le suivi des dégâts biotiques «classiques» avaient gagné en importance.

Dans l’objectif d’examiner l’ampleur et de suivre l’évolution de la prolifération du typographe remarquée depuis 1893, le WSL a mis en oeuvre, en 1984, le relevé de données sur les pullulations de cet insecte en Suisse. Depuis lors, le nombre de nouveaux foyers d’infestation et le volume de bois d’épicéa infesté, ainsi que d’autres données sur les attaques du typographe, sont relevés chaque année auprès de tous les triages forestiers suisses. Enfin, une subdivision est établie entre les volumes de bois infestés et façonnés:

  • en été (entre avril et septembre)
  • en hiver (entre octobre et mars)
  • les volumes laissés sur pied

Après la tempête Lothar, le volume de chablis d’épicéa fut recensé ainsi que la part de chablis évacués jusqu’à fin septembre 2000.

Le nombre, la superficie et le périmètre (lignes de démarcation) des unités de relevé des données sur le typographe (triages forestiers) ont beaucoup changé entre 1984 et 2013, en raison de divers regroupements de triages. Au cours des 30 dernières années, les 1470 triages forestiers existant à l’origine ont été regroupés en 792 triages, dont certains étaient divisés en plusieurs triages voisins. Il était toutefois essentiel pour nos recherches de définir des unités qui resteraient inchangées pendant toute la période d’analyse. C’est pourquoi les services forestiers cantonaux ont mis à notre disposition les périmètres actuels des triages.

A l’aide d’un système d’information géographique (SIG), nous avons établi une carte comportant 487 unités de protection des forêts (figure 2) pour lesquelles nous disposions d’une série de données ininterrompue entre 2000 et 2008. A l’aide de ce catalogue de données, nous avons examiné les effets produits sur la dynamique des pullulations du typographe par les dégâts des tempêtes, les conditions météorologiques (température et précipitations), la lutte contre ces dégâts et les exploitations forcées de bois infesté.

Les dégâts des tempêtes entraînent des infestations

La dynamique des pullulations du typographe est essentiellement influencée par la température. D’une part, les températures élevées atténuent la résistance des épicéas, ce qui augmente le nombre d’arbres sujets aux infestations. D’autre part, elles accélèrent le développement des bostryches et favorisent leur multiplication – d’où une recrudescence d’insectes et donc d’épicéas susceptibles d’être colonisés. Ces deux effets se sont produits pendant l’été caniculaire de 2003 où les dégâts dus au typographe avaient à nouveau augmenté alors que le nombre de foyers d’infestations avait déjà diminué l’année précédente.

Les tempêtes causant des dégâts étendus et des dégâts épars dans les forêts d’épicéas sont le principal facteur de déclenchement des fortes pullulations du typographe. La série de données l’a confirmé: les plus gros dégâts dus au typographe se sont produits dans les régions où la tempête Lothar avait déjà renversé ou cassé de nombreux arbres (figure 2). En effet, les dégâts furent plus importants dans les régions où les volumes d’épicéas sur pied étaient élevés.

Lothar s’est surtout manifesté sur le Plateau ainsi qu’à l’ouest et au centre des Préalpes; quelque huit millions de mètres cubes de bois d’épicéa en ont été victimes. En conséquence, le typographe a surtout pullulé dans les régions gravement endommagées par la tempête, à la suite de quoi, là encore, une même quantité d’épicéas furent infestés et anéantis. Plus les dégâts des tempêtes sont importants, plus les pullulations qui s’en suivent sont intenses (figure 3).

Le façonnage des chablis atténue les pullulations du typographe

Après les dégâts des tempêtes, le bois d’épicéa qui vient d’être renversé ou cassé est généralement façonné. Cette mesure permet de limiter nettement les pullulations du typographe qui s’en suivent. L’évacuation des arbres renversés est efficace tant que les chablis subissent de nouvelles infestations. Mais plus les dégâts des tempêtes sont étendus, plus il est difficile de s’organiser pour façonner le bois à temps.

Ainsi, la part de chablis évacués diminue à la mesure de l’étendue des dégâts (figure 4). Le dégagement incomplet des chablis après le passage de Lothar a donc eu pour conséquence d’augmenter l’importance des dégâts dus aux infestations. Il a été constaté que dans les lieux où les services forestiers avaient réussi à façonner au moins 80% des chablis jusqu’en automne 2000, les dégâts consécutifs à cette tempête furent relativement faibles jusqu’en 2002.

A partir du printemps 2001, les nouvelles attaques aux épicéas sur pied se sont largement multipliées. En conséquence, le façonnage des chablis n’a plus eu d’effet combatif depuis cette époque.

L’exploitation forcée du bois infesté réduit les infestations

Dès qu’une nouvelle pullulation se focalise sur les épicéas sur pied, il est possible d’assainir les foyers d’infestation en exploitant les arbres récemment colonisés. Pour endiguer efficacement la population de bostryches, il faut abattre et évacuer les arbres atteints, ou les écorcer avant que les jeunes insectes s’envolent du tronc où ils se sont développés. Etant donné qu’un certain temps s’écoule entre la colonisation d’un épicéa par les bostryches et la découverte de la nouvelle infestation, combattre le typographe relève de la gageure. Une exploitation forcée dans les premières semaines après l’envol des bostryches peut être néfaste, car les ennemis naturels du typographe (coléoptères et mouches prédateurs, tachinaires parasitoïdes) séjournent plus longtemps dans le tronc et sont éliminés lors de cette intervention tardive.

    Néanmoins, nous avons constaté que la lutte menée contre le typographe après le passage de Lothar avait parfaitement réussi dans la plupart des régions de Suisse. Nous en concluons que les exploitations forcées avaient été utiles et avaient réduit le nombre d’infestations consécutives à la tempête.

    Pour combattre efficacement le typographe, il est impératif d’exploiter à temps au moins 80% des arbres nouvellement infestés. Des rondes de contrôle régulières durant la période d’émergence des bostryches aident à déceler suffisamment tôt les nouvelles infestations. Si le temps disponible est limité, il faudrait surtout effectuer cette surveillance là où de nouvelles attaques sont prévisibles. Dans la région du Napf par exemple, il a été constaté que deux tiers des nouvelles infestations s’étaient produits à moins de 300 m du foyer d’infestation le plus proche, voire 500 m dans 80% des cas (figure 6). Cette distance devrait être prise en considération lors des rondes de contrôle.

      Conclusions

      Les mesures de lutte pratiquées aujourd’hui s’avèrent généralement efficaces dans nos recherches: tant le façonnage des épicéas endommagés par les tempêtes que les exploitations forcées d’arbres infestés contribuent à limiter les dégâts des bostryches. Mais cela ne permet pas de les empêcher.

      Après des événements comme les tempêtes, la pression de la neige, les avalanches, la chaleur ou la sécheresse, la dynamique des pullulations du typographe est avant tout déterminée par l’évolution de la température sur plusieurs années. Dans les régions où le volume d’épicéa sur pied est élevé, des dégâts plus importants sont à prévoir. Leur ampleur serait réduite si la majorité (plus de 80%) des chablis d’épicéas pouvaient être façonnés au cours du premier été après l’événement.

      Une lutte réussie implique que l’exploitation des épicéas récemment infestés soit réalisée avant que les bostryches s’envolent de leur arbre hôte. Pour arriver à déceler assez tôt une nouvelle infestation, il est recommandé de réaliser des rondes de contrôle à l’époque de l’émergence du typographe en inspectant les environs (jusqu’à 500 m) des infestations déjà connues. Une mise en oeuvre cohérente de cette stratégie de lutte peut réduire nettement l’ampleur des dégâts.

      Traduction: Monique Dousse