Forte d'une soixantaine de membres et d'innombrables cultivars, la grande famille des genévriers est présente sur les continents européen, américain, africain et asiatique, de la zone arctique aux régions tropicales. En Suisse, elle est représentée par trois espèces:

  • Le genièvre ou genévrier commun (Juniperus communis) est, comme son nom l'indique, le plus commun d'Europe. Il se développe aussi bien en plaine qu'en montagne, jusqu'à environ 1800 m. A l'étage subalpin, il est relayé par une sous-espèce au port rampant et tortueux,
  • le genévrier nain (Juniperus communis subsp. nana ou Juniperus alpina), dit aussi "genévrier des Alpes". Celui-ci se plaît sur des terrains pauvres, secs et ensolleilés.
  • La troisième espèce, la sabine (Juniperus sabina), est un petit arbrisseau très touffu que l'on rencontre sur les pentes bien exposées du Valais ou des vallées à foehn. Son feuillage doux la distingue du genévrier nain. Très rarement arborescente, la sabine n'excède alors pas 8 à 10 m.

Aux abords de la mer Baltique, les genévriers peuvent atteindre 10 à 15 m. C'est aux Planchettes (NE) que l'on pouvait jusque dans les années 1990 admirer le plus gros genévrier d'Europe, dont le diamètre de 43 cm ne trahissait pas son âge, estimé à environ 1000 ans.

Toponymie et patronymie

La large répartition de ces trois espèces en Suisse ainsi que leur popularité expliquent sans doute l'abondance des toponymes suisses dérivés du mot "genièvre" ou de ses formes locales. En Suisse romande, outre les noms dont l'origine est évidente, par exemple Genavrats, Genavrires ou Genèvro, ou encore Zénévrec, du patois anniviard, on rencontre ainsi de nombreux toponymes et patronymes dérivés de grassi ou gracil, noms patois du genévrier, tels que Les Grassières, La Grassillère ou Le Grassu. Quant à Savignat, Savigny et peut-être Savagnier et Safnern, ils tirent vraisemblablement leur origine du patois savena, sabine.

Son rôle écologique

Si les genévriers jouent un rôle insignifiant en sylviculture, certaines espèces ont acquis mauvaise réputation en raison de leur rôle dans la propagation récente de la rouille grillagée du poirier (Gymnosporangium sabinae). Ce champignon à hôte alternant vit en effet toute l'année sur le genévrier sabine ainsi que sur certains genévriers ornementaux (absents en forêt). Les excroissances visibles sur les rameaux infectés du genévrier libèrent en avril-mai des spores qui infectent les jeunes feuilles des poiriers dans un rayon pouvant aller jusqu'à 500 m.

Arboriculteurs et agriculteurs doivent alors compter avec une nette réduction de la productivité et de la croissance des poiriers, voire avec la mort des arbres. La mesure la plus efficace consiste à déchiqueter les genévriers infectés ou, à long terme, à planter des genévriers résistants au champignon. Le genévrier commun et le genévrier nain ne sont pas touchés par cette rouille mais peuvent être porteurs d'autres espèces du genre Gymnosporangium qui vivent en alternance sur des hôtes tels que le sorbier des oiseleurs, l'alisier blanc ou l'aubépine.

Le genévrier est également l'hôte de prédilection d'espèces moins indésirables pour l'homme : 18 espèces de mammifères, plus de 40 d'oiseaux et 20 d'insectes lui sont associées, par exemple le bupreste du genévrier (Palmar festiva), ou encore une teigne minière (Argyresthia trifasciata) et un scolyte (Phloeosinus thujae aubei) inféodés au genévrier. La grive draine et surtout la grive litorne (Wacholderdrossel, "grive du genévrier" en allemand) se régalent de ses baies et contribuent ainsi au transport des graines. En hiver le tétras lyre s’alimente de rameaux de genévrier nain tant qu’ils sont accessibles.

Carte d'identité
 

Nom latin : Juniperus communis. Étymologie incertaine, peut-être du latin junior, "jeune", et parere, "enfanter" en référence à ses vertus emménagogues, ou du celte gen, "buisson", et prus "âcre".

Noms communs : genévrier, genièvre (cade, sabine, thurifère), pékèt, Gneûve (wallon), localement genieuvre, genève, genèbre, gracil, petiot, petron,

Famille : Cupressacées.

Espérance de vie : 800 à 1000, exceptionnellement 2000 ans.

Hauteur : de 30 cm à 15 m.

Port : souvent pyramidal. A l'étage subalpin, port tortueux, très ramifié, avec une hauteur de 1 à 5 mètres.

Bois : dur, élastique, d'un grain fin ; compact et durable.

Ecorce : filandreuse, gris brunâtre.

Feuillage : persistant. Aiguilles (1 cm) piquantes, verticillées par 3. Bande pâle stomatifère sur la face supérieure, gris-vert dessous. Chez le genévrier nain, les feuilles sont recourbées contre les pousses masquant les rameaux. Chez le genévrier sabine, les feuilles sont en écailles, étroitement appliquées contre les rameaux.

Reproduction : espèce dioïque (pieds mâles ≠ pieds femelles). Entre avril et début juin apparaissent les fleurs mâles, petits cônes jaunes de quelques millimètres de longueur, à l'extrémité des rameaux, et les cônes femelles, formés d'écailles portant à leur base les ovules. Chez le genévrier sabine, fleurs mâles et femelles sont présentes sur le même individu.

Fruits : les "baies" de genièvre sont en fait des cônes appelés galbules, comportant des écailles plus ou moins complètement soudées entre elles, qui mûrissent en deux ou trois ans et se couvrent alors d'une couche cireuse, la pruine.

Usages d'hier et d'aujourd'hui

Les fouilles pratiquées sur des sites archéologiques ont révélé que le genévrier était déjà apprécié des Helvètes lacustres. Au début de notre ère, le géographe grec Strabon rapportait que les Gaulois du Sud l'utilisaient pour embaumer les têtes coupées. Son usage par les Égyptiens anciens pour embaumer leurs morts est contesté depuis qu'une équipe de chercheurs allemands a identifié en 2003 des composés phénoliques du cèdre de l'Atlas et non du genévrier dans les résines d'embaumement.

Dans la Charte aux Normands de 1315, le genévrier fait partie du mort-bois, "c'est-à-dire tout bois qui par sa mauvaise qualité n'est propre qu'au feu". De fait, il fut autrefois couramment employé pour le chauffage des fours et la fumaison des salaisons, mais aussi à d'autres fins. Sa dureté, la variété de sa coloration (brun-rouge à jaune) et son grain fin sont aujourd'hui encore appréciées en tournerie, par exemple pour la production de manches d'outils ou de couteaux, d'échalas, de bâtons de marche, de tuyaux de pipe, mais aussi en ébénisterie et en sculpture d'art. Imputrescible, il fut aussi utilisé pour la fabrication de conduites d'eau, de piquets et de poteaux, ainsi que de cercueils.

Bien davantage que pour son bois, c'est pour ses "baies" que le genévrier est le plus connu. Leur arôme inimitable et ses qualités digestives sont indispensables pour parfumer marinades, pâtés, plats de gibier et de poisson, et bien sûr la choucroute. La mélasse de genièvre, par exemple sur une tranche de tresse, est une gourmandise qui mérite d'être connue. Et en cas d'abus de table, le mariage des baies de genièvre avec un alcool fort (eau-de-vie ou, autrefois, absinthe) fait merveille. Cette boisson à la fois apéritive et digestive est populaire dans toute l'Europe : elle est l'aquavit des Danois, le schiedam des Hollandais, le pécket des Belges, le Borowitschka des Slaves, le gin des Anglais, et bien sûr le genièvre des Français et des Romands.

Les nombreuses propriétés médicinales du genévrier lui ont valu jusqu'au XIXème siècle une réputation méritée de panacée. Il peut - entre autres - soulager en cas d'infections urinaires, d'affections cutanées, de goutte, d'arthrose, d'asthme ou de migraine. Son action stimulante sur le système rénal et sur le flux menstruel explique qu'il soit contre-indiqué en cas de maladie inflammatoire rénale ou de grossesse. En usage externe, il améliore l'irrigation de la peau, ce qui permet d'atténuer les douleurs rhumatismales, mais peut causer des irritations locales. Son usage prolongé n'est donc pas anodin et doit faire l'objet d'une surveillance médicale. Le genévrier est aujourd'hui abondamment utilisé en aromathérapie et en cosmétique, sous forme de shampooing, savon et autres huiles relaxantes pour le bain.

Puissant antiseptique, il fut employé en fumigation jusqu'au XIXème siècle : on en brûlait dans les maisons et les lieux publics lors des épidémies. Il faut également préconisé contre les morsures d'animaux venimeux, ce qui valut à l'extrait de genièvre le nom de "thériaque des paysans".

Croyances et coutumes populaires

Cette propriété antiseptique explique peut-être la coutume qui consistait, dans les Alpes, à faire brûler une bûche de genévrier après la messe de minuit, à Noël, pour désinfecter et embaumer la maison, ou peut-être repousser les mauvais esprits. Au Moyen Age, sa popularité était telle qu'il était admis qu'une seule branche, accrochée sur la porte d'une maison, suffisait à en éloigner les serpents et à protéger des sorcières. Celles-ci étaient en effet réputées ne pas avoir de pouvoir avant d'avoir compté toutes les feuilles, très nombreuses, de l'arbuste, courant ainsi le risque d'être surprises par leur future victime. Dans les régions alpines, on cultive le même respect pour le genévrier que pour le sureau, comme en atteste l'expression : "Saluer le genévrier et s'agenouiller devant le sureau".

Pour les Italiens de la Renaissance, le genévrier symbolisait la chasteté, comme en témoigne un portrait réalisé par Léonard de Vinci d'une austère jeune fille, nommée Ginevra de' Benci, posant devant un genévrier. Au dos du tableau figure une couronne de rameaux et la légende en latin "La beauté orne la vertu".

Les Germains voyaient sans conteste en lui un arbre de vie, symbole de fertilité, de santé et de vie éternelle, et l'on est bien tenté de les suivre.